« Pourquoi est-elle restée dans cette relation ? Si elle avait voulu, elle serait partie depuis longtemps ! » Maintes fois entendues, ces phrases, jugeantes et culpabilisantes, suggèrent que les victimes qui subissent la violence morale sont dénuées de volonté. Mais une période d’instabilité passagère peut rendre tout un chacun vulnérable. Alors comment s’installe le jeu pervers de la domination et de la soumission ? Quelles sont les phases de l’emprise psychologique et les conséquences d’un tel mécanisme sur le corps et la psyché ? Comment se défaire de l’engrenage insidieux de la manipulation mentale ?
Le charme irrésistible du bourreau au début de la rencontre
Une bonne étoile a mis sur votre route cet être sympathique, jovial et tellement séduisant. Il aime passer du temps avec vous pour mieux vous connaître, souhaite vous faire plaisir ou vous surprendre. Avenant et prévenant, doté d’un sourire ravageur, il possède toutes les qualités dont vous rêviez. Il a tout du prince charmant des contes de fées ! Et si cette relation était trop belle pour être vraie ? Certaines de vos amies vous envient et vos proches vous disent que vous avez beaucoup de chance. Alors vous balayez rapidement cette pensée. Avec lui, vos carences affectives seront comblées. Hélas, il n’en est rien. Ce bourreau des cœurs est un manipulateur. En apparence, il abonde dans votre sens, vous complimente pour gagner votre confiance. Il s’érige tantôt en sauveur, tantôt en victime pour mieux vous amadouer et vous harponner !
Telle une araignée tissant sa toile autour de sa proie, le piège se refermera lentement sur vous. Sa technique bien rodée n’éveille aucun soupçon. Une fois prise dans ses filets, vous deviendrez sa chose dont il pourra se délecter. Vous penserez à lui dès qu’il s’absentera. Vous vous accrocherez à ses mots doux qui vous procureront autant de bien-être qu’une piqûre de dopamine. Ces nombreux appels et SMS au cours de la journée vous rassureront et vous conforteront dans l’idée qu’il tient à vous. Peu à peu, vous aurez de la difficulté à vous échapper de la prison dorée dans laquelle il vous a amené. Vous n’avez rien vu venir, car la phase de séduction dans laquelle vous étiez vous a rendue affectivement dépendante de lui. Il est votre tout et ce que vous pensez n’a plus vraiment d’importance. Sans même vous en apercevoir, vous lui avez donné les clés de votre cerveau. Vous êtes désormais sous son emprise !
Une manipulation sournoise et anesthésiante
En gérant divers aspects de votre vie, il vérifie que votre dépendance vis-à-vis de lui est suffisamment forte. Il a pris le contrôle, et peu à peu, vous êtes devenu le jouet de sa perversion. L’emprise psychologique a anesthésié votre esprit et votre bon sens critique. Vous fonctionnez maintenant en pilotage automatique.
Déstabilisation
Dès le début de la relation, vous lui avez donné beaucoup d’éléments sur vos fragilités. C’est ainsi qu’il a pu les exploiter et montrer son ascendance. Il sait ce qui est bon pour vous et vous le croyez. En fait, vous vivez à travers ses envies et en avez complètement oublié les vôtres. L’engrenage est bien installé et il peut tirer sur les ficelles à sa guise. Soumise, vous vous remettez sans cesse en question et doutez de plus en plus en vos capacités. Avant notamment de prendre une quelconque décision, vous vous demandez toujours ce qu’il ferait. Depuis que vous vivez ensemble, vous avez perdu votre air enjoué et votre énergie débordante. Dès lors, vous commencez à moins vous amuser et à vous habiller différemment pour ne pas lui déplaire. Vous redoutez ses sautes d’humeur et vous êtes dans la confusion absolue. La peur vous terrasse. La pulsion destructrice de cette personne joue en permanence sur vos faiblesses. À coup de menace, de contrainte et d’intimidation, vous sentez que vous êtes totalement à sa merci.
Dénigrement et isolement
Pour que la domination soit encore plus dévastatrice, votre compagnon vous éloigne peu à peu de vos amis, de votre famille ou de vos collègues de travail. Votre socle relationnel fait partie de votre équilibre et il le sait. C’est pourquoi il se doit de détruire ces relations saines, soit en changeant de région, soit en vous imposant de ne plus les voir. Selon ses dires, ils ne sont pas assez bien pour vous. Il passe son temps à les critiquer, à les dénigrer alors pour ne pas le fâcher, vous obéissez et décidez de couper les ponts. Vous êtes maintenant seule et vous vous enfermez de plus en plus sur vous-même.
En croyant à son impunité et à sa toute-puissance, votre persécuteur impose son pouvoir. Son unique objectif est de vous humilier, vous abaisser et vous anéantir ! Le lien nocif qui vous unit vous réduit à un asservissement qui vous enfonce encore plus loin dans la soumission.
Ambivalence de sentiments
Mais la violence psychologique est également teintée de moments agréables. La force du manipulateur tient en sa dextérité à passer d’un état émotionnel à un autre. Chaleureux et attentionné, il peut se transformer en un clin d’œil en un être froid, calculateur, voire machiavélique. Des insultes aux mots tendres, des reproches aux weekends en amoureux, vous ne savez plus sur quel pied danser. Vous vous accrochez à cette relation sans percevoir qu’elle est malsaine. Et s’il s’emporte, c’est parce qu’il n’a pas eu le choix. C’est certainement de votre faute. Vous n’avez pas réussi à le comprendre ou à devancer ses attentes.
À force d’être dévalorisée, vous avez perdu votre discernement, vous acceptez cette maltraitance, et quoi qu’il fasse, vous l’excusez. Votre esprit ne réagit plus à la toxicité dans laquelle vous êtes enlisée. Bien au contraire, vous voulez même l’aider à changer. Vous vous transformez en sauveur et redoublez de petites attentions. Vos actes ou vos propos ne seront jamais à la hauteur.
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De l’emprise psychologique à la reconstruction de son identité
Devenue l’ombre de vous-même, vous avez perdu tous vos repères. Votre estime et votre confiance se tapissent maintenant tout au fond de votre psyché. Le chemin pour reprendre le contrôle de votre vie sera long et semé d’embûches. La déconstruction d’une emprise se fait progressivement.
Prise de conscience de son assujettissement
Le premier pas vers une reconstruction de son identité est de sortir du déni. Comprendre que vous avez été dans une situation de manipulation est indispensable, sans cela, rien ne peut changer. La lecture d’un livre, l’écoute d’un podcast ou encore un témoignage dans une émission de TV peuvent vous ouvrir les yeux.
Vous aviez réussi à faire le premier pas pour en sortir. Mais après avoir vécu des années comme une marionnette, à qui l’on dictait tout, il peut être difficile d’avancer. Et souvent, la rechute est inévitable. Retourner vers l’autre semble l’issue la moins mauvaise puisque votre capacité de penser est totalement altérée. Votre dépendance vous a mise en position de fragilité et vous ne parvenez même plus à vous affirmer.
De son côté, votre ex-compagnon voit rouge tel un taureau dans l’arène. Il se livre au harcèlement ou au chantage émotionnel, menaçant, par exemple, de se suicider. Une rage destructrice contre vous ou vos proches peut s’emparer de lui, car le quitter ne fait pas partie de son scénario.
« La peur est là, à tous les stades de la violence psychologique, c’est même un élément essentiel qui permet la mise sous emprise. » Marie-France Hirigoyen
Libération et guérison pas à pas
Pour des personnes extérieures, tout semble bel et bien terminé, car vous avez enfin réussi à quitter votre bourreau. Cependant, ce dernier reste dans votre tête. Tout ce qu’il a insufflé au cours des années est gravé dans votre mémoire, comme un tatouage indélébile. Retrouver une vie sans avoir peur peut parfois prendre des décennies. Une porte qui claque, la sonnerie trop insistante d’un téléphone ou une simple remarque vous mettent dans un profond état de tension.
Vous naviguez dès lors dans une forme de brouillard, affaiblie et épuisée mentalement. Vous avez l’impression d’être incapable d’effectuer la moindre démarche, car vous aviez perdu toute autonomie lorsque vous étiez sous sa coupe.
Vous devrez apprendre à déconstruire des modes de pensées et des schémas par un travail sur l’estime de soi avec des professionnels de santé. Que ce soit en tête à tête avec un psychologue ou dans un groupe de paroles de victimes, l’aide thérapeutique sera primordiale. Les quelques amis qu’il vous reste et vos proches pourront, eux aussi, montrer leur soutien.
Au niveau physique, le traumatisme de la relation d’emprise génère un très fort taux de stress. Une baisse des défenses immunitaires et une plus grande vulnérabilité aux maladies en sont les conséquences. Anxiété, somatisation, dépression, insomnies et troubles de la concentration sont quelques-uns des symptômes les plus fréquemment constatés.
Progressivement, rencontrer de nouvelles personnes et reprendre des activités sportives, associatives, culturelles ne vous paraîtront plus comme des épreuves insurmontables. Et elles seront bénéfiques pour votre guérison.
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Porter plainte, lorsqu’aucune trace de coups n’est visible, peut vite ressembler au parcours du combattant. Aujourd’hui, bien que la parole se soit libérée dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’emprise psychologique fait encore trop de victimes silencieuses. Soyez vigilants aux signes qui peuvent alerter au début d’une relation, et surtout, ne restez pas seuls, osez vous exprimer.
Nadia Kaïd
Sources :
L’emprise, cet engrenage crucial des violences faites aux femmes — Marie-France Hirigoyen
Emprise psychologique — Femmes de Droit
QU’EST-CE QUE L’Emprise ? POURQUOI S’Y SOUMET-ON ? — Le Pervers Narcissique
De la peur à la soumission livre de Marie-France Hirigoyen