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Le viol, une arme de maintien de l'ordre

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Illel Kieser ‘l Baz et une auteure anonyme

Première parution sur Agoravox le 18/11/2008, revu et remanié le 19/10/2017. Ce texte est, hélas, toujours d'actualité...

 

Toute la race des Barbares est ainsi faite. Le père y couche avec la fille, le fils avec la mère, la sœur avec le frère.
Euripide, Andromaque

 

En 2008, je pensais vraiment que la prise en compte de la parole des victimes de viols évoluerait positivement en la faveur de leur écoute et de la prise en charge de leurs souffrances. Près de 10 ans après, je constate qu'il n'en est rien. Bien peu de moyens sont mis au service de ces victimes. Si différents faits d’actualité semblent montrer que la parole des victimes se libère, elle se libère aussi du côté des prédateurs. Remarquons cependant que ce sont des personnalités du spectacle, des vedettes de cinéma qui témoignent des viols et agressions qu’elles ont subi et qui lancent des campagnes d’alerte. Les victimes anonymes continuent de subir la double offense, après le viol, les humiliations que la police et la justice leur présentent comme seul salut.

Je rencontre de plus en plus de victimes qui témoignent des humiliations qu'elles subissent dans les hôtels de police ou dans les gendarmeries... Et c’est pire encore quand il s’agit de jeunes enfants, voire des bébés. Le nombre de classement sans suite est étrangement élevé.

Un article de Hans Lefebvre paru en juin 2008 sur Agoravox, se faisait l’écho des résultats de l'enquête menée en 2006 – rendus publics en 2008 – par l’Ined sur la fréquence des agressions sexuelles. Ces résultats confirment ce que les acteurs de terrain savaient déjà sans jamais pouvoir convaincre. Les premiers constats renvoient tant au déni de la société qu’à une profonde méconnaissance du phénomène et de son impact sur les victimes souvent instrumentalisée par une actualité avide de sensationnel. Si les responsables de l’enquête paraissent surpris, les résultats sont conformes aux témoignages des acteurs sociaux œuvrant sur le terrain : une forte augmentation des délits sexuels déclarés, mais un très faible taux de déclarations en police.

Dans l'entête de l'article cité l’auteur lance l’alerte : « Le silence tue, ici réside une certitude, et s’il ne tue pas il permet aux comportements sexuels violents de perdurer dans le fracas sourd insupportable d’un mal que notre société n’arrive pas à endiguer.

C’est ce que nous confirme l’enquête Contexte de la sexualité en France (CSF) menée en 2006 par une équipe mixte de l’Inserm et de l’Ined à l’initiative de l’Agence nationale de recherche sur le SIDA (ANRS). Réalisée sous la responsabilité scientifique de Nathalie Bajos et Michel Bozon, cette étude large comprenait notamment une partie consacrée aux violences sexuelles, faisant suite à la première Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), réalisée en 2000, et qui brossait déjà un état des lieux inquiétant. Entre ces deux recherches, les chiffres ont doublé, mais les auteurs s’en expliquent. »

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/violences-sexuelles-une-enquete-40943#commentaire1739827

Cette enquête s’intéressait aussi aux hommes, elle met plutôt en lumière une violence sexuelle dans l’enfance et l’adolescence, souvent silencieuse, car le tabou est encore fort. Les hommes éprouvent en effet les plus grandes difficultés à déclarer qu’ils ont été victimes d’abus sexuels.

Un rapport d’enquête réalisée sous l’égide du CNRS, la première expertise collective sur les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineur/es, a été remis fin avril 2017 à Laurence Rossignol la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Réalisé par une douzaine de chercheur(e)s de diverses disciplines (histoire, sociologie, neurosciences…) dans le cadre de la mission "Sciences en société" du CNRS, le rapport dresse un état des lieux des connaissances et propose des pistes d’analyse et d’action contre ce phénomène. (https://lejournal.cnrs.fr/articles/ce-que-lon-sait-de-linceste-en-france)

À la suite de la campagne lancée sur internet en octobre 2017 sous le mot #balancetonporc et qui a montré l’ampleur et la dévastation des viols dans tous les milieux, Laurence Rossignol plus tard sénatrice reconnaît son effarement face au désastre. Une ministre en poste, disposant d’énormes moyens d’information et d’investigation ignorait l’ampleur du problème. Comment est-ce possible ? Pourtant, je suis en permanence en contact avec des victimes qui ont signalé leur détresse aux ministères concernés.

Où est le problème ?

On se dit que la France a développé des stratégies très efficaces de déni du viol et de l’inceste.

Ce fut longtemps un murmure mais il faut s’attendre à ce que la détresse, les protestations silencieuses et la détresse se transforment un jour en colère.

Une autre enquête conduite en 2015, Virage (Violences et rapports de genre), par l’Institut national d’études démographiques (Ined) a montré qu’au cours de leur vie, 5 % des femmes et un peu moins de 1 % des hommes de 20 à 69 ans ont été victimes de viol ou tentative de viol ou d’attouchements dans le cadre familial ou de l’entourage proche. Surtout, plus de 90 % de ces actes, s’agissant des femmes, et 100 %, concernant les hommes, se sont produits pour la première fois entre 0 et 17 ans.

Ces résultats ne concordent pas avec ceux des enquêtes menées régulièrement au Canada et qui montre un taux bien plus élevé de prévalence de l’inceste et du viol intrafamilial, 21% de femmes et 9% d’hommes.

Certains commentateurs se réjouissent de l’abolition du tabou qui verrouillait la parole. Mais comment cette parole est-elle reçue ? Pourquoi une telle discordance entre cette libération et le nombre de plaintes enregistrées ? Quelles interprétations peut-on donner à ces résultats ? Sur le terrain l’accueil des victimes correspond-il vraiment à ce que les services de communication des ministères concernés nous annoncent ?

Pas vraiment ! Sur le terrain, justement, on est sidéré par l’ampleur du mensonge et l’on se croit parfois aux temps barbares, quand la loi du plus fort l’emportait sur le plus faible.

Quelques malheureuses anecdotes

J'accompagne une collègue éducatrice témoin du viol de deux jeunes adultes dans un village proche alors que les festivités de la fête de la musique venaient de se terminer. Elle est bouleversée, n'a pas dormi de la nuit. Un jeune gendarme nous accueille immédiatement suivi d'un autre, un gradé, le sourcil froncé qui nous presse de questions. Que faisons-nous ici ? Faire un signalement de viol, monsieur.

  • C'est pas ici, il faut aller à C. 31 !
  • Ha, et pourquoi pas ici ?

Survient un gradé, uniforme prêt pour un défilé (sa femme doit lui repasser une tenue chaque jour)...

Nous sommes reçus pendant une heure par le commandant de brigade qui nous sort le laïus qu'il a sûrement entendu lors d'un stage de formation.

Vous devinez : « on écoute, on enquête, nos enquêteurs sont formés, etc. »

—   Vous avez une caméra ?

  • Non on l'attend ! Mais de toute façon il y a les PV de vos dépositions... Plus d'une heure à subir la visite imaginaire d'une gendarmerie modèle, assis à écouter ce chef nous vanter les qualités d'une brigade moderne... Le chef n'a rien écrit de tout ce que ma collègue lui a rapporté. Aucun enregistrement. Ils ont sciemment menti.

Je n’ai vu aucune présence féminine. Des jeunes recrues, quelques poils au menton et « sourcils froncés » qui guettent.

Passage dans la grande salle. Deux gendarmes cassent une petite croute, un autre semble naviguer sur Internet. C'est « sourcils froncés » qui reçoit ma collègue.*Ma présence est indésirable, elle est seule au milieu de tous ces mecs. De toute manière pour la plupart, ça ou un vol de mobylette c'est pareil.

Elle y restera 3 heures. Elle en sort anéantie... Elle est passée sur la sellette, son état d'excitation anxieuse a conduit « sourcils froncés » à lui poser des questions sur sa vie. A-t-elle bu ? Fume-t-elle? Comment élève-t-elle son fils ? Seule ? (Mon dieu, une femme seule élevant un enfant de 12 ans! C'est un symptôme, ça !)

Au final rien ! Comment voulez-vous que l'on retrouve ces filles ? Si ça se trouve elles étaient consentantes. Elles ont crié ? Elles se sont défendues ? Ha oui, elles habitent la cité X ! (Bien sûr dans cette cité les filles adorent se faire violer)

Cela me rappelle un article sur le Viol au XIIe siècle, Ou quand ne pas crier, c'est déjà consentir. (Catherine Barbé, « Œil de moire »,

<http://www.oeildemoire.com/>

La voiture des violeurs ? Une Mercedes SE... comment voulez-vous qu'on la retrouve si vous n'avez pas relevé l'immatriculation.

Putain, oui, dans ce patelin tous les agriculteurs ont une Mercedes SE de couleur noire, des vitres fumées. On n'aura pas remarqué celle des violeurs, c'est sûr.

Le lendemain, cette collègue me téléphone car elle a retrouvé les deux victimes. Elle a réussi à en convaincre une de porter plainte...

Pas de chance, le gendarme chargé de cette affaire n'est pas là aujourd’hui. Non, on ne peut pas prendre sa plainte, elle est mineure, et puis c'est « sourcils froncés » qui gère le dossier. Revenez mardi !

Dans la gendarmerie du F. 31 le lundi est férié, c’est jour de marché... Pas de chance, la gamine part en vacances avec ses parents le soir même. Monsieur le Commandant de la Brigade de gendarmerie du F. 31, merci pour votre accueil et ce professionnalisme avec lequel votre vaillante brigade a géré ces deux crimes.

"Sourcils froncés" pourra clore son rapport rapidement.

La prochaine fois que vous êtes témoin d'un viol, sortez votre caméra, interrogez le violeur et, surtout, demandez à la victime ce qu'elle foutait là. Assurez-vous qu’elle n’a pas bu, qu’elle portait une robe sous les genoux et un col roulé sinon vous risquez une inculpation pour dénonciation calomnieuse.

Des faits divers collectés ici et là on constate que les viols sur mineurs sont sanctionnés le plus souvent de prison avec sursis, ou d’une peine dérisoire.

Il y a peu, une jeune fille de 11 ans a porté plainte pour viol. Son agresseur âgé de 28 ans échappe aux Assises, le crime ayant été requalifié en agression sexuelle. Le tribunal de Pontoise ayant jugé que la victime pouvait avoir été consentante. Les policiers chargés de l’enquête ont réussi à semer le doute sur la probité de cette fille. (Pontoise 26/09/2017)

Dans tel autre tribunal, le Président s’enquiert des antécédents de la victime. Buvait-elle ; avait-elle des attitudes provocantes ; dans son passé avait-elle montré qu’elle était une fille facile ? Interrogé le Président ne s’excuse même pas, selon lui il devait poser ces questions car les jurés s’en inquiètent. Pauvre petit juge, contraint de s’abaisser à répondre à ces questions de Café du Commerce.