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« Le monde intérieur du trauma » : une approche singulière de l’œuvre de Jung

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Le traumatisme dans les contes...

La seconde partie du livre est dédiée à l’analyse de quatre contes où la dynamique du système d’auto-sauvegarde est représentée : Eros et Psyché, Fitcher’s bird et Rapunzel (Raiponce, en français) des frères Grimm, et Le Prince Lindworm8. L’auteur souhaite montrer ainsi l’origine archaïque, religieuse, de la dyade étudiée afin d’étayer l’idée que sa nature est archétypique.

8 Un Lindworm est un serpent, un dragon, un monstre mi-homme, mi-serpent dans les mythologies scandinaves.

Les interprétations de ces contes sont parsemées de digressions intéressantes pour les thérapeutes, par exemple sur le rôle du transfert ou sur celui du deuil et du sacrifice dans le processus de reprise d’un cours « normal » de l’existence par les analysants. Cette seconde partie révèle bien entendu des représentations archétypiques, mais le lien avec la pensée de Winnicott est préservé dans la synthèse kalschedienne, notamment en ce qui concerne les transformations de la libido et celles de l’agressivité dans le processus d’incarnation du Soi.

Les contes étudiés présentent deux parties. La première décrit l’état initial d’« ensorcellement » du Moi par l’ombre du Soi ; la seconde relate la libération des deux entités, qui se différencient l’une de l’autre, grâce à la difficile prise de conscience par le Moi des forces agressives de l’ombre du Soi. Celles-ci sont alors « humanisées » et intégrées. Un processus qui mène le sujet de l’ « ensorcellement » initial où il est prisonnier à l’ « enchantement » dont il peut jouir, malgré les désillusions nécessaires pour parvenir à cet état. C’est un moment crucial et dangereux puisqu’il s’agit de passer par une étape de « retraumatisation » soit libératrice, soit réaliénante.

Ce livre exigeant est aussi un livre qui a beaucoup à apporter à tous ceux qui se sentent concernés par la question du clivage précoce de la personnalité. Un clivage effectivement très précoce car dans les cas décrits, au moment où l’épisode traumatique se déroule, le moi n’est qu’en formation et ne dispose pas encore des ressources nécessaires pour résister à l’intensité des décharges émotionnelles. C’est pour pallier ce manque que les défenses archétypiques du Soi entrent en jeu.

L’ombre du Soi

L’oeuvre de Kalsched est originale parce qu’elle met en valeur la dimension négative du Soi, dont beaucoup d’auteurs ne retiennent que les aspects positifs. En conséquence, l’interprétation des contes de Kalsched se distingue de la métapsychologie jungienne la plus courante. Par exemple, dans le cas de Fitcher’s bird (un conte du type de Barbe Bleue, mais probablement antérieur à la version que nous connaissons aujourd’hui), il ne suit pas l’analyse de Kathryn Asper9 qui voit dans le personnage masculin diabolique une représentation de l’animus négatif de la femme ou de l’ombre de l’homme. Pour Kalsched, il s’agit de l’ombre du Soi.

9 Analyse publiée dans M. Stein et L. Corbett Psyche’s Stories : Modern Jungian Interpretations of Fairy Tales, Vol I Wilmette, Ill. : Chiron Publications pp. 121-140.

10 Defences of the Self, in Journal of Analytical Psychology 19 (2) pp. 192-199

Kalsched n’est pas l’inventeur de la notion d’ombre du Soi, sur laquelle Michael Fordham avait déjà écrit en 197410. Jung lui-même considérait les représentations du Soi comme ambivalentes et il avait perçu la structure dyadique du système d’auto-défense face au traumatisme. Donald Kalsched reconnaît bien sûr que le Soi a une fonction ordonnatrice et unificatrice de la psyché, qu’il est représenté par des symboles d’union des opposés et de totalité. Cependant il avance que dans le cas du trauma, le Soi a une fonction désintégratrice du psychisme. Il détruit l’espace transitionnel, de sorte que le sujet ne parvient ni à assimiler les expériences vécues au-dehors, ni à entretenir, au-dedans, une vie imaginative créatrice de symboles. La fonction transcendante ne peut pas se constituer. Le sujet demeure confiné dans une prison fantasmatique stérile, mélancolique et engourdissante, à bonne distance de toute prise de conscience des émotions, notamment de l’angoisse. Il est « ensorcelé ». Sa pensée, passée sous l’emprise de la figure du Protecteur/Persécuteur, n’interprète plus les informations fournies par ses sens via des représentations verbales ou imagées. Elle condamne au silence l’enfant intérieur, la victime innocente qui constitue l’autre pôle de la dyade du système de défense archétypique.

Les poussées autodestructrices et séquestratrices issues de l’ombre du Soi ne sont pas une simple rébellion sans cause : elles obéissent à un but sous-jacent. Dans ce cas de figure, l’objectif que poursuit le Soi indifférencié, primitif et démoniaque est de sauver ce que Donald Kalsched appelle le Personal Spirit, l’Esprit Personnel, en l’isolant de la réalité. Le système de défense considère que le Personal Spirit est menacé par les expériences traumatisantes que le sujet a vécues et qu’il tend à revivre indéfiniment. Pour cela, il disloque l’Esprit Personnel et le cache, à l’abri des coups du sort, dans différents endroits du psychisme (où il est « encapsulé ») et du corps (où il donne éventuellement lieu à des sortes de délires somatiques). Cet aspect positif et salvateur de l’ombre du Soi était jusque-là rarement mentionné dans la littérature sur le trauma.

Au prix d’un travail sur lui-même généralement parsemé de crises, le patient peut éventuellement remettre en relation les différentes composantes de son être et donner à son Esprit Personnel le loisir de s’épanouir dans la réalité. Pour cela, il a besoin d’un témoin qui l’accompagne. Il lui faut accepter de lâcher une part de sa toute puissance narcissique pour s’impliquer dans une relation affective. La voie qui mène de l’ensorcellement à l’enchantement est celle de l’amour. Les derniers chapitres du livre indiquent les caractéristiques de cet amour. Compréhensif, il est à même de contenir successivement en son sein les fragments dispersés de l’âme traumatisée ; mûr, il accorde à l’autre la liberté et la souveraineté d’un être distinct ; il est assez fort pour que les déceptions mutuelles soient surmontées. Cet amour exige l’énergie de l’humilité. Pour les personnes traumatisées, cette étape est difficile. Il leur semble qu’il leur est demandé de sacrifier, voire de trahir, le monde divin dont ils se considèrent être les élus, pour s’enfoncer dans la médiocrité et la platitude de « ce monde ». Mais cette longue « chute » confère progressivement du poids et de l’authenticité à leur réalité.

Au terme de ce cheminement, l’activité imaginative créatrice peut se développer, un sens peut être donné aux ressentis, y compris aux ressentis douloureux. La part magique de l’existence peut se manifester. Le patient jouit alors d’un rapport plus intime, plus senti, avec son propre corps et s’ouvre au monde. Le Soi s’incarne. C’est au seuil de cette incarnation que le Soi apparaît dans toute son ambivalence, avec sa part d’ombre et sa part de lumière qui se combattent mutuellement et se muent l’une en l’autre. Face à cette lutte de forces titanesques, le moi doit reconnaître humblement les limites de son pouvoir.

Le Personal Spirit est un concept forgé par l’auteur. Dans les harmoniques de sa pensée, il le rapproche de l’esprit des Egyptiens de l’Antiquité, de la notion socratique de daïmon, et surtout de l’Hermès/Mercure ambivalent des alchimistes, qui anime le processus de transformation. Le Mercure duplex à la fois esprit ailé et puissance chtonienne, lumen naturae selon la terminologie paracelsienne, ou corps subtil d’après celle des néo-platoniciens. Mais il s’agit là de notions similaires, et non équivalentes au Personal Spirit. Kalshed considère que l’essence de ce dernier se cache, dans le cas des personnes traumatisées, au sein de la figure de la victime jeune et innocente du couple Pésécuteur/Persécuté, une figure volontiers représentée sous la forme d’un petit animal ou d’un enfant.

C’est, pour Kalshed, la part unique, sacrée de l’individu, qui doit être défendue par tous les moyens, voire, en dernière extrémité, par le suicide. Kalshed pose que toute atteinte au Personal Spirit est absolument inconcevable. Pour renforcer cette idée qui est au fondement de son édifice théorique, il rapporte des considérations tout à fait analogues trouvées chez Ferenczi et chez Winnicott.

The Inner World of Trauma est une approche singulière de l’oeuvre de Jung, comme doit l’être toute vision authentiquement jungienne de l’âme. C’est aussi un vaste - et synthétique - récapitulatif des travaux menés par les chercheurs anglo-saxons dans le domaine du trauma, c’est-à-dire, en fin de compte, le domaine qui constitue le fil rouge de l’histoire de la psychanalyse. Ce récapitulatif est bien entendu orienté puisqu’il sert à étayer la thèse de l’auteur, mais il n’en reste pas moins un tour d’horizon passionnant et... accessible aux néophytes. »

Recension de l’ouvrage par Arnaud de Margerie

Sur
http://books.google.fr/books?id=Tqckd8cMBmQC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Des pages du même ouvrage

« Un complexe traumatique entraîne une dissociation de la psyché. Le complexe n’est plus sous le contrôle de la volonté et, pour cette raison, il devient autonome. Cette autonomie consiste en une capacité à se manifester indépendamment de la volonté consciente et il interagit en directe opposition des tendances conscientes : il s’impose de manière tyrannique par dessus la conscience. Des affects explosifs se font invasifs et surgissent à la conscience de l’individu tel un ennemi ou un animal féroce. J’ai fréquemment observé que les affects caractéristiques d’un trauma sont représentés dans les rêves par un dangereux animal sauvage - une frappante illustration de la scission opérée au sein de la conscience. » Jung, cité par Donald Kalsched, p. 12