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« Le monde intérieur du trauma » : une approche singulière de l’œuvre de Jung

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


6 The Inner World of Trauma, op. cit, p. 144

 

Pour en donner un bref aperçu, prenons quelques mots qui commencent avec le préfixe trans. Donald Kalsched note l’espace transitionnel de Winnicott, la fonction transcendante de Jung, et il insiste sur l’importance d’un troisième terme, le transfert, qui est un espace dans lequel ce qui est désigné par les deux premières notions est susceptible de « s’entremêler »7. Un espace d’autant plus important que s’il y a un lieu privilégié de transformation de la structure traumatique, c’est bien celui-là, du moins selon notre auteur.

7 Ibidem, p.145

Kalsched prend soin de montrer comment il a également enrichi et conforté le résultat de ses analyses avec les travaux de nombreux autres chercheurs. Citons-en les principaux : Sandor Ferenczi, Michael Fordham, Ronald Fairnbarn, Harry Guntrip, Edmund Bergler, Charles Odier, James Masterson, Mélanie Klein et Wilfred Bion. Freud, bien entendu, occupe une place fondamentale dans cette généalogie et ses prises de position au sujet du trauma sont également passées en revue.

Les 215 pages de ce livre apportent beaucoup de matière à méditer. Les deux premiers chapitres décrivent les trajectoires de patients de Kalsched. Ils montrent comment les défenses archétypiques du Soi se manifestent au cours des différentes étapes de l’analyse, notamment dans les rêves des personnes traumatisées. Le système d’auto-sauvegarde est généralement personnifié par un couple de personnages, la dyade formée par un persécuteur-protecteur et son « client », une victime enfantine et innocente, souvent féminine. Il s’agit là d’un portrait onirique du système archétypique mis en place par le sujet pour répondre au trauma extérieur.

Les cas relatés illustrent les mécanismes à travers lesquels ce système opère afin de sauver le sujet de l’anéantissement psychique. Parmi ces mécanismes, deux sont fondamentaux :

 

· l’encapsulation dans une bulle fantasmatique auto-suffisante mais contre-dépendante,

· la dissociation, qui se produit en différents endroits : entre les différentes composantes du psychisme, mais aussi entre le sujet et le monde, par un travail préalable de sape des conditions d’émergence d’un espace transitionnel.

 

Le legs du trauma

Donald Kalsched trouve des caractéristiques communes à ses analysants traumatisés. Une sorte de « portrait-robot » peut-être dressé d’après ses observations.

- Tout d’abord, ce sont des personnes qui cachent anxieusement leur vulnérabilité derrière une armure dure et méprisante ; elles peuvent même devenir arrogantes à force de s’identifier aux forces numineuses qui les possèdent.

- Autre trait de caractère largement partagé : elles développent précocement une grande autonomie par rapport à leurs parents, puis par rapport aux autres en général, pour masquer et étouffer leur besoin cuisant de relations affectives qui leur inspire honte et dégoût. C’est donc une autonomie extérieure qui cache une grande dépendance intérieure. La relation avec leur mère au cours de leur enfance a généralement été mal vécue. Ce sont souvent des personnes sensibles : dans une même situation, les enfants qui ont la peau plus épaisse sont moins traumatisables.

- Ce sont souvent des personnes brillantes, et leur intelligence se déploie de préférence dans des sphères abstraites, par exemple esthétiques, scientifiques ou philosophiques. Certaines réussissent à relever de grands défis sportifs, mais même dans ce cas, leur rapport au corps reste impersonnel : il leur faut vivre des sensations fortes pour le faire exister. C’est une façon d’essayer de mettre en relation leur corps et leur esprit. Leur pensée est plutôt désincarnée, et leur corps, même s’il est cultivé, est peu « habité ». Elles souffrent généralement de problèmes psychosomatiques.

- Les personnes qui ont vécu un épisode traumatique adoptent parfois une attitude de repli schizoïde, et peuvent être amnésiques. Beaucoup d’entre elles se servent de l’addiction à toutes sortes de drogues pour apaiser leurs souffrances. Certaines sont sujettes à des accès de rage quand elles sont contrariées. Cependant, elles peuvent dissimuler leur fragilité derrière le rempart de la réussite sociale, ou du moins celui d’une adaptation superficielle, tout-à-fait extérieure, à la société.

Les chapitres suivants ancrent l’analyse de Kalshed dans l’histoire des recherches psychanalytiques consacrées à ce sujet. Ils commencent par le dialogue de Freud et de Jung sur le monde intérieur du trauma (c’est le titre du troisième chapitre). L’expérience du trauma concrètement vécue par Jung dans son enfance, puis l’approche théorique de ce problème qu’il a ensuite développée, sont résumées. Suivent les contributions d’autres chercheurs jungiens. Enfin, la théorie psychanalytique à ce propos est passée en revue, via des résumés synthétiques des oeuvres de grands penseurs non-jungiens. Donald Kalsched se réfère essentiellement à des auteurs britanniques et américains. Tous ces auteurs apportent des pierres à son édifice.

Par exemple, dans la Confusion des langues entre les adultes et l’enfant, Ferenczi montre que chez une personne traumatisée, la partie émotionnelle de la personnalité régresse pour retrouver l’état de bonheur antérieur au trauma, tandis que la partie mentale évolue de façon parfois extraordinairement rapide. Cette fulgurante « progression traumatique » peut débarrasser le fragment de la personne dont elle s’empare des préoccupations terrestres égotiques, et le faire participer à une sagesse universelle clairvoyante. Ce fragment de personnalité, la partie progressive, acquiert dans certains cas des pouvoirs paranormaux, qui lui permettent par exemple de percevoir des événements au-delà des barrières de l’espace et du temps. En particulier, elle peut observer la destruction de la partie régressée. Tel Isis réassemblant les morceaux épars du corps d’Osiris, la partie progressive cherche à retrouver l’unité dont la personne jouissait avant d’être traumatisée. Bien entendu, Kalsched rapproche cette théorie de Ferenczi de sa propre conception du système d’autoprotection. La présence de dyades plus ou moins analogues est également relevée chez d’autres chercheurs, comme chez Ronald Fairnbarn, Colin Ross ou Edmund Bergler.