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L'intelligence du corps

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


... et j’en rêve !

Un phénomène identique survient chez des sujets qui subissent un stress intense. Ils évoquent volontiers la situation, mais ils rapportent aussi des rêves relatifs à cette situation. Ces rêves semblent même souvent retranscrire la réalité dans tous ses détails. On constate aussi qu’ils « oubliaient » rapidement les circonstances exactes de la situation de stress intense. Comme si l’amnésie permettait d’endurer à nouveau la situation – stress au travail, maltraitance d’adultes ou d’enfants, etc. tout en y demeurant. Or, on sait aussi que l’apparition d’une souffrance psychique est signalée par des rêves qui reviennent sur cette souffrance. Le rêve semble attirer l’attention de la conscience sur une situation qui devient dangereuse. Ce qui veut dire que le rêve, ne pouvant plus jouer son rôle de compensation, sonne l’alerte pour, sans doute, pousser le sujet à fuir la situation.

Sens et mémoireLes régions cérébrales utilisées pour se défendre d'un danger (et qui nous font sentir la peur et donc réagir au danger) sont alors mises en connexion.

Ces constatations peuvent nous conduire à créer des méthodes de diagnostic et des protocoles de soins pour les personnes victimes de traumatismes. Mieux, nous pouvons même en déduire des indices sur des conduites de guérison pour toutes ces personnes qui se sont trouvées confrontées à un moment de leur vie à de lourdes maltraitances.

Mémoire, sensation et conscience de soi

Une intéressante étude américaine nous éclaire sur le rôle de certaines sensations, celles qui concernent nos affects et émotions, les sensations intéroceptives. Selon Sahib S. Khalsa, ce n’est pas l’insula qui jouerait le premier rôle dans la perception de nos états physiologiques, ni qui serait à la base de nos émotions et affects. Les recherches de S. S. Khalsa et de ses collaborateurs semblent prouver que nous percevons nos états intérieurs par la peau, donc également, par les zones du cerveau associées au toucher. Ces neurologues supposent que nos facultés d’intéroception dépendraient des zones cutanées situées au niveau du cœur et du cortex somatosensoriel, lequel traite les informations captées par la peau.

Cela semble recouper les découvertes du Dr. Jarricot. Le Dr Jarricot a mis en évidence en 1971 des zones thoraco-abdominales appelées dermalgies qui sont des projections à la peau de l’appareil nerveux des viscères. (La Douleur articulaire, dermalgies, auriculothérapie, 1983 de Yves Mur et Henri Jarricot)
Jarricot

Chacune de ces projections a une forme définie correspondant à la zone d’épanouissement de l’élément vasculo-nerveux perforant. Ces projections se situent en des zones précises du thorax et de l’abdomen, toujours les mêmes pour un même viscère. Pour être plus explicite, on trouve des zones sur le ventre correspondant, par exemple, à l’estomac, au foie, au pancréas etc. En utilisant la technique du « palper-rouler » on sent ces dermalgies qui se caractérisent par une zone plus épaisse et plus adhérente. Selon l’état de santé du patient certaines dermalgies seront spontanément douloureuses et on aura du mal à décoller la peau (adhérence). Certains praticiens de l’homéopathie et en acupuncture traditionnelle se servent de l’appréciation qualitative de ces zones – plus ou moins épaisses et indurées, plus ou moins adhérentes – permettant ainsi une première évaluation de l’état du patient. Celle-ci complète les tests pour les uns – homéopathes – du palper des pouls radiaux – pour les acupuncteurs –, ce qui permettra d’apporter un jugement sur l’efficacité du traitement en reprenant les dermalgies à la fin de ce dernier. Si celui-ci a fonctionné, les zones dermalgiques seront moins indurées voir absentes, les tissus cutanés adhérents avant traitement seront devenus plus souples. On constate également que les états de conscience qui suivront seront associés à cette amélioration : afflux de souvenirs, d’émotions et de sentiments qui peuvent, éventuellement, ramener à la mémoire des faits oubliés.

5 – Les neurosciences réinventent l’inconscient...

... Mais d'une dimension singulière.
L’apprentissage et la mémoire, tout comme la perception, échappent à la conscience par pans entiers. La plupart de nos souvenirs sont, à un moment donné, indisponibles pour la conscience, s’ils sont inconscients ils demeurent néanmoins quelque part dans l’organisme, prêts à surgir à l’appel d’un déclencheur judicieux.

La mise en évidence que la majorité de nos processus cognitifs sont en fait de nature inconsciente est considérée comme une véritable révolution qui met fin au règne du modèle classique de la conscience unique régnant sur un magma informe nommé inconscient. Cet inconscient là, de surcroît bien plus « intelligent » qu’on ne le croyait, ne cesse d’étonner par la diversité de ses processus : automatismes mentaux ou sensori-moteurs, connaissance ou même raisonnement implicite, traitement sémantique, etc.

Toutefois ces deux sous-systèmes, conscients et inconscients, ne suffisent pas à gérer à eux seuls la complexité du réel. Grandement sous-estimée par le modèle classique de la conscience, ils sont secondés par différents systèmes tels que les processus attentionnels, le système viscéral... L’organisation globale du mammifère humain s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraissait au début du xxe siècle.

Conscience dynamique et imprégnation viscérale

Ce qui pouvait paraître chaotique dans une sorte d’inconscient magmatique revêt de nouvelles significations au fur et à mesure que notre exploration et nos connaissances du système nerveux avancent. Pour Walter-J. Freeman, un pionnier des neurosciences cognitives, le cerveau répond en permanence aux changements du monde. Il accorde une place centrale au corps de l’individu baignant dans son environnement. D’un chaos apparent du monde en perpétuel changement le cerveau – ici il s’agit d’un terme générique car, nous l’avons vu, c’est un ensemble de systèmes qui est mis en œuvre – sait créer un ordre sous-jacent permettant de construire sans cesse de nouvelles significations.

La conscience joue alors le rôle d’un opérateur qui module ces dynamiques cérébrales et les traduit dans une activité opérante sur le ‘réel’. Résidant nulle part et partout, elle reforme constamment ses propres contenus qui parviennent des différents systèmes neuraux et qui subissent les changements rapides et étendus que l’on attribue à la pensée humaine.

Cette pensée consciente et les décisions qui en découlent n’impliquent pas seulement des raisonnements abstraits. Pour Antonio Damasio, (Les bases neurales de émotions) on ne peut penser la conscience sans y inclure l’action permanente– monitoring – d’une boucle affective au sein de laquelle le cerveau et le corps se répondent continuellement (par le système nerveux végétatif, le système endocrinien, etc.). Et notre conscience puise, souvent à son insu, les informations, images, concepts et idées qui paraissent utiles à son dessein du moment.

Damasio défend l’idée que nos pensées conscientes dépendent substantiellement de nos perceptions viscérales. Pour lui, la conscience se construit à l’écoute du milieu somatique intérieur (notamment via l'insula), et ce monitoring a évolué parce qu’il nous permet d’utiliser ces états somatiques pour donner une valeur aux perceptions extérieures. D’où son concept de marqueur somatique qui décrit la façon dont les perceptions du monde extérieur – donc, captées par les organes de sens – interagissent avec les émotions du monde intérieur.

Un dernier concept qui étend encore plus largement le rôle du corps en totale interaction avec l’environnement dans la genèse des processus conscients est celui d’énaction. Développé par Francisco Varela et s’inscrivant dans le mouvement de la cognition incarnée, l’idée centrale de l’énaction est que les facultés cognitives se développent parce qu’un corps interagit en temps réel avec un environnement donné.

Dans cette perspective, la perception n’a rien de passif. Elle est le facteur déclencheur de la dynamique du système corps-cerveau qui produit des actions, des attitudes, des pensées, etc. dans sa situation locale du moment. C’est ainsi que Ernesto Varela présente le concept d’énaction. Selon ce chercheur, l’énaction, les sens permettent « d’énacter » des significations, c’est-à-dire de modifier notre environnement tout en étant constamment façonné par lui. (E. Varela, L’inscription corporelle de l’esprit : sciences cognitives et expérience humaine)

L’essence de la cognition et de la conscience n’est pas dans la création de représentations d’un monde – réalité physique objective – qui serait distinct et séparé de notre esprit – réalité psychique objective –, ni uniquement dans une organisation neurale particulière, mais dépend de l’ensemble des structures sensori-motrices d’un organisme et de ses capacités d’actions corporelles « couplées » à un environnement particulier.

La prise de décision ne précède pas la sélection des outils pour l’exécuter. C’est, à l’inverse, notre environnement qui nous suggère à tout moment les voies d’actions les plus pertinentes.

6 – Une approche anthropologique : La cognition incarnée

Contrairement à l’approche computationnelle – cerveau semblable à un ordinateur –, l’approche dynamique introduit l’importance d’un travail avec les activités complexes de réseaux de neurones plutôt qu'avec des signes si opérationnels soient-ils, avec des états globaux du cerveau plutôt qu’avec du calcul et des règles. Telle est la conception de Walter J. Freeman qui s’inscrit dans un courant plus large, peu connu en France, qu’on appelle la « cognition incarnée ».

Francisco Varela a été l’un des grands promoteurs de cette conception dynamique du couple corps-esprit. Il récuse la séparation cartésienne classique entre la cognition humaine et son incarnation. Pour lui, et pour les nombreux chercheurs qui adhérent à ce courant, on ne peut pas comprendre la cognition, et donc la conscience, si on l'abstrait de l'organisme inséré dans un environnement particulier avec une configuration particulière.

Dans ces conditions « écologiquement situées » (on parle de « situated cognition ») toute perception entraîne une action et toute action entraîne une perception, comme on vient de le voir avec W.-J. Freeman. C’est donc une boucle perception-émotion-action qui est la logique fondatrice du système neuronal, celui, par suite, de l’humain en situation, à tout instant, en tous lieux. La cognition, la conscience, bref le monde intérieur d’un individu émerge avec ses actions, c'est un monde « énacté ». Le mouvement vient constamment enrichir la cognition parce que notre cerveau s'est construit de cette façon tout au long de la phylogenèse.

Les connaissances actuelles nous éloignent donc irrémédiablement du mode causal traditionnel du type « entrée-traitement-sortie » inspiré de l’informatique. La primauté de l’action et une finalité pour ces actions, des émotions et un corps baignant en permanence dans un environnement donné nous fournissent un cadre plus riche et plus complexe pour appréhender autrement la conscience humaine. C’est aussi l’ouverture à une approche plus globale à partir de laquelle on peut penser la présence humaine en constante interrelation avec des objets intérieurs – viscères – ou extérieurs – le monde alentour dans sa complexité.

D’une espèce à l’autre, l’image du monde que l’organisme produit est extrêmement différente, propre à chaque espèce. Ainsi, notre perception des couleurs est différente de celle des abeilles ou des chats. Chaque espèce possède un appareillage spécifique de cônes et de bâtonnets. Cela est vrai pour tout le système sensoriel : olfaction, audition, vision, toucher, goût. La biologie et l’éthologie nous ont habitués à penser que de nombreuses capacités sensorielles ne nous sont pas accessibles.

La nature aurait donc sa propre structure, son organisation et sa dynamique. Cela pose évidemment la question de la place de la conscience, problème dont les philosophes se sont déjà emparés, celui de la liberté, celui du libre arbitre... Cette révolution cosmogonique, nous la devons aux recherches actuelles en neurosciences mais d’autres disciplines y contribuent, l’éthologie, l’anthropologie et la génétique.

Des chimpanzés élevés uniquement parmi des humains et qui ont appris à communiquer par le langage des signes, ne se reconnaissent plus comme chimpanzés quand on leur présente des images ou des films de congénères sauvages. Le cerveau de chaque espèce présente à la conscience de l’espèce une forme de réalité qui lui est spécifique. Il en va de même pour l’espèce sapiens. Qu’advient-il alors de ces pans d’un monde que nos sens ne perçoivent pas – tout au moins que notre conscience ne perçoit pas ? Notre organisme crée, à l’instar de celui des autres animaux, une représentation du monde qui nous est spécifique. Nos systèmes de pensée, nos philosophie, voire notre mystique se fondent sur cette représentation du temps et de l’espace que nous prenons pour LA réalité, fragment pertinent, pour nous, qui s’inscrit dans la droite ligne du processus de l’évolution.
La psychologie évolutive aurait donc des développements à nous soumettre, différents de la psychologie classique. Le paradoxe de Max Velmans est proche d’une vérité universelle : l’univers a différentes vues de lui-même à travers mon regard, le vôtre, celui du pigeon, de l’abeille ou de la chauve-souris.

Quelques références

– Borsarello (Jean-François), Traité d'acupuncture, Masson éditeur, 2005
– Damasio (Antonio), L’autre moi-même, Odile Jacob, Paris 2012 ; Les bases neurales des émotions, in Hommes et Faits, http://hommes-et-faits.com/Dial/spip.php?article258
Scott Kelso (J. A.), Dynamic Patterns: The Self-Organization of Brain and Behavior, Bradford Book The MIT Press, 1995 - modèles dynamiques : L’auto-organisation du cerveau et du comportement.
Varela (Ernesto), L’inscription corporelle de l’esprit : sciences cognitives et expérience humaine, Seuil, Paris, 1996.
Velmans (Max), Understanding Consciousness, Routledge, 2009
Wilkinson (Margaret), « Journal of analytical psychology », Volume 50, Number 4, 2005, pp. 483-501(19) 483-501 – Blackwell Publishing

Ailleurs sur Internet
Consulter le travail du Docteur Bernard Auriol – Toulouse
http://auriol.free.fr/yogathera/chakras/svadisthana/svadhishthana-III-2007-05-28.htm
Pour compléter l’approche complexe de la conscience humaine
<http://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_12/a_12_p/a_12_p_con/a_12_p_con.html>