Bandeau logo de l'association Cavacs-France

Les émotions, la métaphore et la cognition

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023



La métaphore


À partir de la linguistique


Notre cerveau est si intimement lié au corps que les métaphores qui en émanent sont nécessairement puisées dans ce corps, son rapport au monde et son parcours historique personnel, culturel et celui de l’espèce.
En linguistique cognitive , la métaphore conceptuelle , ou métaphore cognitive , fait référence à la compréhension d'une idée, ou d' un domaine conceptuel , en référence à un autre champ conceptuel. Quand on dit par exemple « le temps passe », on appréhende le temps (le domaine cible à comprendre) avec une notion reliée à l’espace (le domaine source où l’on puise la métaphore. La clef métaphorique). On peut aussi utiliser différents registres sensoriels pour amplifier ce qui touche un registre sensoriel spécifique d’un autre ordre. Par exemple « Je ressens une douleur sourde, ou une douleur aigue. », fait appel au registre auditif pour exprimer un impact sensoriel somatique.
George Lakoff (The Contemporary Theory of Metaphor) suggère que le développement de la pensée au sein des sociétés a d’ailleurs de tout temps été influencé par l’usage qu’on a fait des métaphores. De plus, l’application d’un champ de connaissance à un autre est venu souvent apporter de nouvelles perspectives de compréhension parce qu’il génère de nouvelles métaphores et une meilleure compréhension de la singularité d’un ressenti.
L’approche des émotions : « Je suis en colère ! », peut être amplifié par une métaphore qui fait appel à un paysage. « C’est comme un ciel sombre, avec des nuages lourds, une ambiance pesante qui me plombe. » Cette amplification imagée traduit un état émotionnel susceptible de générer des malentendus – « je suis en colère ! » – en des termes plus nuancés qui toucheront l’interlocuteur de manière plus vaste. On retrouve cet usage des métaphores dans certains corps de métier. Ainsi les maîtres parfumeurs usent d’une palette très riche pour figurer les fragrances d’une fleur : « une senteur de miel, de cannelle, avec des nuances lavande et un léger nuage de citron ». Évaluation entendue des senteurs d’une rose par une spécialiste. Dans cet exemple on constate que les registres sensibles sont nombreux et diversifiés.
« Pour la sémantique cognitive toute forme de cognition humaine, jusqu’aux raisonnements les plus abstraits, est incarnée. » (“Encyclopédie Homo Vivens – Au commencement était le Verbe”) Autrement dit, la cognition utilise et dépend de phénomènes corporels élémentaires et inconscients comme le système sensori-moteur ou les émotions.
La conception incarnée de la cognition présuppose que l’organisme réagit sans que l’on puisse faire état d’un dualisme corps/esprit. L’organisme est un système complexe dont les éléments s’organisent en sous-systèmes qui interagissent à tout moment.
Pour George Lakoff, notre cerveau est si intimement lié au corps, à sa forme et à la façon dont il fonctionne que les métaphores qui en émanent sont nécessairement puisées dans ce corps et son rapport au monde. C’est à partir de ces métaphores que se forment les concepts qui nous permettent justement de penser ce monde.
Les thèses de G. Lakoff ont donc des implications importantes en épistémologie, comme par exemple sur l’idée même de falsification au cœur de la démarche scientifique. Pour G. Lakoff, nos hypothèses construites à l’aide de métaphores complexes ne peuvent pas être directement falsifiables. Elles peuvent seulement être rejetées suite à des observations empiriques guidées elles-mêmes par d’autres métaphores complexes.
Par ailleurs, dans le domaine clinique, s’agissant de l’échange interpersonnel, la métaphore ôte tout ambiguïté quant à la compréhension – pour être plus exact, elle en diminue la portée – que l’interlocuteur X peut avoir de l’expression que le locuteur Y donne d’un ressenti.

La métaphore en accompagnement des traumas précoces


L’amplification sensorielle


Nous avons vu plus haut que les émotions sont bien autre chose que des pensées particulières exprimant l’état d'une situation précise. Elles sont la résultante d’un ensemble de réactions de systèmes complexes qui se sont transformés au cours de l’évolution de Sapiens pour répondre à des besoins spécifiques de l'organisme dans des environnements changeant. Ces systèmes sont différents de ceux qui sont à l'origine de la conscience réflexive. D’où la difficulté à les verbaliser.
Nous savons aussi que si ces émotions surviennent à des âges qui précèdent la capacité de formulation des pensées construites, la possibilité d’en exprimer la valeur plus tard est difficile voire impossible. D’autres vecteurs d’expression sont alors nécessaires pour que la conscience puisse accéder aux valeurs de l’émotion.
G. Lakoff et Johnson avancent l'hypothèse que les métaphores ne sont pas des affaires de mots, des figures poétiques du langage. Pour eux, ce sont nos processus cognitifs qui sont largement métaphoriques ; une large part de nos concepts sont structurés métaphoriquement. Certaines émotions ne se fraient une voie vers la conscience réflexive que grâce à une construction poétique que l’organisme met en place pour évoquer une situation émotionnelle. Et la réalité de cette situation se présente sous forme de métaphores, d’analogies, de représentations non verbales. Comme nous l’avons suggéré plus haut par des exemples simples, la peur, par exemple, si les mots manquent, s’exprimera spontanément par une construction métaphorique.
Comme la métaphore exprime la réalité d’un objet X, appartenant à un registre spécifique, par des références à un autre registre, la difficulté réside dans la capacité à « traduire » la métaphore pour repérer la réalité de l’objet X. Pour que la métaphore puisse servir de vecteur à la communication, il importe donc de connaître l’environnement dans lequel elle s’est construite.
Si nous échangeons avec un indien Hopi, que ce dernier vous rapporte qu’il est un aigle. Si nous ne connaissons rien de la culture Hopi, proche du chamanisme sibérien, nous allons prendre son affirmation comme une aimable fantaisie sans rien comprendre de ce qu’elle pourrait signifier.
Si nous avons quelque connaissance de la culture de notre locuteur, alors nous comprenons plus facilement le sens du « Je suis un aigle ! »
S’il s’agit d’approcher le contenu des rêves, nous rencontrons le même risque de malentendu. En réduisant le contenu d’un rêve à un registre culturel, idéologique ou théorique préétabli, nous réduisons la valeur de son contenu. Et nous passons à côté de la valeur intime que le rêveur pourrait lui attribuer.
Il nous faut donc avoir une connaissance préalable du registre culturel, et sémantique du rêveur.
Les cauchemars sont un exemple particulièrement représentatif de ce déplacement d’un registre sémantique à un autre.
Une jeune femme consultant pour des troubles du sommeil qui altèrent son adaptation sociale fait le cauchemar suivant : Des yeux gigantesque surgissent de l’armoire à vêtements de sa chambre et s’approchent de son lit en virevoltant de façon si macabre qu’elle se réveille en hurlant de terreur.
Ces yeux qui virevoltent sont la métaphore clef, support expressif d’événements dramatiques dont elle croyait s’être définitivement débarrassée. Nous ne saurons cela qu’en ayant eu de longs échanges avec cette jeune femme. Échanges qui nous auront permis de percevoir des liens entre ses récits, son évolution au temps présent et les contenus du cauchemar. C’est alors que chaque détail du rêve prendra un sens singulier qui révèlera des articulations d’un détail à un autre.
Il apparaîtra très vite que cette femme a été victime de prédations sexuelles par son père durant sa petite enfance. Ces prédations s’accompagnaient de violences physiques, d’humiliations et de coercitions. 
Ce cauchemar est récurrent, avec, parfois quelques modifications.
En réponse à nos questions, on comprend que les premières apparitions de tels cauchemars datent de ses 15 ans. Cet âge est important dans sa vie. Il renvoie à sa décision de quitter le foyer familial pour vivre en foyer. (L’organisme n’a plus à lutter quotidiennement pour assure sa survie. Mais le trauma continue son travail de sape)
Racontant cela, elle est terrassée par une émotion intense. Parvenant à se reprendre, elle dit qu’elle vient d’avoir l’image de son père qui, caché dans l’armoire de sa chambre d’enfant, surgissait en pleine nuit pour venir l’assaillir.


Un autre exemple :


Une femme, 45 ans, arrive en séance, annonçant : « Je suis très en colère ! » Personnalité HPI, elle énonce trois items, trois événements qui ont suscité sa colère, une « colère ravageuse, envahissante » dit-elle. Après avoir évoqué en détail les trois événements concernés, je lui fait remarquer que chacune de ces colères semble posséder des valeurs spécifiques.
Comme nous en avons l’habitude, je lui demande de figurer chacune de ces colères par des évocations métaphoriques. Changer de registre d’expression en quelque sorte.
Il lui apparaît alors que chacun de ces ressentis d’émotions recouvre un remugle émotionnel différent. Cela la conduit à changer ses stratégies de réaction dans chaque cas.
On constate ici que, de prime abord, la première évocation générique : une colère envahissante, se transforme en une différenciation qui permet d’opérer un changement cognitif tout aussi différencié. La première évocation résulte d’un processus d’introspection très pensé et qui semble, aux yeux de la personne, une certaine cohérence. À en rester sur cette cohérence pensée, la personne risque d’introduire une confusion dans l’élaboration de ses réactions. Lesquelles peuvent alors ne pas être pertinentes dans le contexte concerné dans chaque item.

Références


Le cerveau à tous les niveaux, < https://lecerveau.mcgill.ca/ >
Damasio A., toute l’œuvre
Lakoff G. & Johnson M., 1980, Metaphors We Live By
Chomsky N. Sur la nature et le langage, Marseille, Agone, 2011
Gloria Sturzenacker, Metaphor in dreams, in International Association for the Study of Dreams
Varela F., Thompson Evan, Rosch Eleanor, The Embodied Mind, MIT, 1991
Green Maurice, Conséquences à long terme des traumatismes de l’enfance précoce, NYC, USA 1993