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La culture du viol

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Par Laura Villemain

La société tout entière est basée sur un système, le patriarcat, qui permet et légitime une domination masculine sur les femmes et les enfants par des biais multiples présents dans la culture et les constructions sociales qui en découlent. Ce terme de patriarcat est ancien et son sens a évolué à travers les siècles ; formé par le mot latin pater (père) et grec archie (origine et commandement), il signifie « chef de famille » en grec ecclésiastique (patriarkhes) ; donc, l’autorité du père. Le patriarcat, dans son acception contemporaine, renvoie à un système idéologique qu’il serait plus pertinent de nommer le « viriarcat », en référence à la virilité. En effet, dans celui-ci les hommes détiennent un pouvoir « naturel », légitime et indiscutable, qui permet la subordination des femmes et participe à rendre la domination acceptable ou invisible à celles qui la subissent. Par ailleurs, le patriarcat justifie presque naturellement les oppressions et les discriminations des personnes qui ne rentrent pas dans cette norme : les femmes donc, mais aussi les personnes homosexuelles, transgenres et les enfants. Consciemment ou inconsciemment, nous avons toustes intégré ces constructions sociales qui existent depuis des millénaires, et nous les reproduisons. Les violences sexuelles sont possibles à cause de cette domination masculine qui a chaque époque s’entremêle à d’autres formes de dominations : relations sociales, catégories d’âge, états matrimoniaux. Nous sommes habitué.es à ce virilisme depuis l’enfance, à ces rapports dominant-dominé qui se retrouvent partout dans la société, jusque dans les jeux vidéos. C’est pour cette raison que des hommes influents, des figures publiques peuvent violenter sexuellement des femmes et/ou des enfants aux yeux et au fait de toustes sans être inquiétés : Nicolas Hulot, PPDA, Luc Besson, DSK, Olivier Duhamel et Cie. Notons bien qu’ils hurlent au complot lorsque les victimes les accusent : en effet, ces messieurs sont tout de même dans leur bon droit en tant que mâles dominants. La preuve : ils ont été couverts (jusqu’ici). Pour comprendre pourquoi les agresseurs s’en sortent généralement bien et que leurs victimes sont traitées comme des pestiférées, penchons-nous donc un instant sur l’environnement social et historique qui nous amène à reproduire des mécanismes inconscients favorisant les violences sexuelles : la culture du viol.

            La culture du viol, kezako ? Eh bien c’est cet amalgame social et historique qui nous permet d’accepter, de légitimer et même de justifier le viol, donnant raison aux agresseurs et tort aux victimes sans même parfois nous en rendre compte. Mais comment ? Pourquoi ? Parce que les mythes. J’explique : notre vision de ce qu’est une violence sexuelle s’est construite en fonction de mythes (souvent depuis très, très longtemps), ce qui fait que les comportements qu’on adopte à cause d’eux nous paraissent normaux.

 

Mythe-numéro-1 : – le-mythe-du-masculin-protecteur

Celui-ci se retrouve dans toutes les sphères de la société. Les victimes de violences sexuelles ont « bel et bien été prises au piège de cette construction, car le masculin protecteur s’est l’espace d’un instant, par surprise, retourné en masculin destructeur. » (Kieser ‘l baz, 2021). Rappelez-vous les contes quand vous étiez petit.es, les Disney, les pubs, les films, les chansons, etc. Un chevalier qui sauve une princesse, un mari qui gère les économies pour subvenir aux besoins des femmes et des enfants pendant que maman fait la vaisselle...le bonhomme qui raccompagne gentiment sa prétendante jusqu’au métro parce qu’il a peur pour elle, cette fragile créature (que c’est mignon). Ce n’est que romantique ?

 

Mythe-numéro-2 : – le-mythe-du-« vrai-viol »

Dans l’imaginaire collectif, un viol a lieu la nuit dans une ruelle sombre, de la part d’un inconnu et de manière très violente. Ah vraiment ? Toutes les enquêtes et les statistiques menées depuis les années 1980 (et même avant !) montrent que les violences sexuelles sont majoritairement perpétrées par un proche ou une personne connue de la victime, dans des lieux de confiance et le plus souvent de manière répétée. Qui sont les agresseurs ? Des hommes, à 96 %. Les victimes ? Pour la majorité, des enfants (160 000 chaque année, Enquête Virage 2017) et des femmes. En ce qui concerne les hommes, il est plus difficile d’avoir une idée du nombre de victimes, puisque révéler un viol c’est mettre à mal la virilité que la société leur impose, d’où le peu de témoignages recueillis de la part des hommes victimes.

Un vrai viol, ça dépend aussi de l’angle sous lequel on se place. Par exemple, récemment une cour de tribunal a jugé un viol « non caractérisé » parce que la pénétration n’était pas assez profonde. La langue de tonton sur le clitoris ? Attouchement. À noter qu’un attouchement est moins grave aux yeux de la loi, mais aussi pour l’agresseur qui en jouera pour sa défense.

Mythe-numéro-3 : – le-mythe-d’une-sexualité-masculine...et-puis-c’est-tout

Le désir masculin est présenté dans la société comme violent et dominateur « par nature » et les femmes, dont le désir a été tardivement reconnu (vous avez dit clitoris ?), finissent par s’y soumettre. La violence dans les relations sexuelles est ainsi considérée comme normale (et quand je dis violence, je ne parle pas de Sado-masochisme ; la violence commence là où s’arrête le consentement). Il n’y a qu’à voir toutes les œuvres cinématographiques et littéraires dans lesquelles les femmes apparaissent soumises au désir de l’homme. Des exemples ? Il y en a pléthore ! Tenez, prenons Star Wars : Han Solo, ce héros viril conquérant de l’espace a jeté son dévolu sur la pauvre Léia, qui toute princesse qu’elle est finira par « succomber » au charme de l’aventurier (après  l’avoir repoussé de ses mains et crié deux/trois « non »). Du fait de cette image, la limite entre sexualité et violence est vague et permet d’occulter nombre de violences sexuelles. Ben oui, tout le monde sait que quand une femme dit « non », ça veut en fait dire « oui ». Et puis, si elle a trop bu ou qu’elle est droguée...bof, qui ne dit mot consent ! Dans ce cadre, une « vraie » victime devra par la suite apporter les preuves de son absence de consentement. Et là, bon courage !

 

Mythe-numéro-4 : – le-mythe-du-c’est-pas-grave

(ou la dédramatisation et la légitimation du viol)

Lorsqu’on est confronté.e à la révélation d’un viol, les mythes sur le viol nous laissent imaginer que ça n’est pas si grave, d’autant que les victimes ne montrent pas nécessairement de signes de mal-être (cela est dû notamment à l’anesthésie émotionnelle induite par le stress post-traumatique qui amène la victime à se couper de ses émotions, ou a des réactions de sidération devant la violence de l’expérience). Ainsi, l’entourage des victimes ne se rend pas compte de l’impact du choc traumatique provoqué par le viol (ou ne veut pas se rendre compte ; devant quelque chose d’horrible, c’est tellement plus facile de faire semblant de ne rien voir afin de protéger sa vision d’un monde juste et prévisible). De fait, les familiers des rescapé.es peuvent par exemple énoncer des banalités comme : « Iels s’en remettront ; iel a l’air normal.e, ça doit pas être si terrible  ; C’est moche, mais la vie continue ! » Un enfant de 4 ans violé par son père et son frère tous les dimanches après le bain pendant 5 ans s’en remettra...mais bien sûr. Une jeune femme prise dans une tournante ? Quelle expérience !

Sachez qu’un viol génère des séquelles diverses et variées, différentes pour chaque personne, qui si elle n’est pas prise en charge peut les subit toute sa vie, et assez souvent se suicider tant la souffrance est grande. Petit tour d’horizon des plus courantes : perte d’estime de soi, troubles anxieux, troubles du sommeil, impression d’être différent.e des autres, stress, irritabilité, addictions, conduite à risque, troubles de l’alimentation. Selon l’OMS, la fréquence des violences sexuelles et leurs conséquences sur la santé en font un problème de santé publique universel et l’une des principales causes de morbidité.

            Ces mythes sur le viol vont aussi influencer la réaction des victimes, qui ressentent honte et culpabilité, alors qu’elles n’ont rien fait de mal...en fait. L’explication est « toute simple » : dans notre société patriarcale, les hommes ont longtemps été les propriétaires légaux du corps des femmes et des enfants (jusqu’à la fin du XXe siècle), ayant tout pouvoir sur ielleux. Ainsi, les victimes éventuelles n’avaient aucun droit de se plaindre, et s’iels le faisaient, étaient traité.es en coupables à la place de l’agresseur. Les choses n’ont malheureusement pas beaucoup changé. Les victimes continuent d’être incriminées dans la plupart des cas, y compris dans les tribunaux et les commissariats, où on les questionne sur leur tenue vestimentaire, leur moralité, leur consommation de drogue et d’alcool. En bref, de quoi trouver des excuses à l’agresseur et blâmer la victime : « Si elle s’est faite violer, c’est qu’elle l’avait bien cherché ! »

La victime a honte, culpabilise, souffre en silence...seule. Pas écoutée, pas entendue, malgré les signes évidents de mal-être qu’elle peut présenter (un enfant qui se touche régulièrement les parties génitales, la chute brutale des notes au lycée, la peur de se retrouver avec Patoche dans une soirée, etc.). Et malgré tout, iels trouvent des excuses à l’agresseur...surtout s’il est âgé, malade, très proche ; elles le plaignent (« Le pauvre, il ne faut pas que j’en rajoute ! ») La victime, au lieu d’être secourue, protège d’une part son agresseur, mais aussi son entourage (« Si j’en parle à mes parents, ça va les tuer ! »)…c’est le monde à l’envers ! La révélation du viol se retrouve alors tributaire de la culture dans laquelle on évolue et qui admet qu’on subisse la violence, mais pas qu’on en parle, sous peine de bouleverser l’ordre établit. Alors on apprend à se taire.

 

Le-langage, – agent-primordial-de-la-diffusion-des-mythes

La culture du viol passe aussi par le langage que nous utilisons au quotidien. Celui-ci permet de banaliser les violences sexuelles en créant des habitudes puisqu’il conditionne la pensée et les mécanismes sociaux. Son utilisation est un outil d’action puissant et la façon dont nous nommons les choses oriente notre vision, nos réactions et nos actions. En fonction des situations, les mots peuvent altérer ou éclairer notre perception de la réalité. Le langage modèle la société et détermine certains comportements (ou pourquoi y en a certains qui agressent plus que d’autres, pourquoi ils sont protégés par le système tout entier et pourquoi les autres se la ferment – et sont pas écouté.es et/ou blâmé.es quand iels osent l’ouvrir). Le langage diffuse continuellement une idéologie sociale très ancrée...à savoir le patriarcat. Par exemple, qualifier d’abus les violences sexuelles sur les enfants laisse supposer une certaine légitimité dans le fait d’utiliser sexuellement un enfant ou un adolescent, un usage autorisé.

Nommer le réel est nécessaire afin de pouvoir agir sur celui-ci, mais déchiffrer les subtilités des mécanismes du langage l’est tout autant. Grâce à la technique de l’évitement linguistique (consciente ou non), les auteurs de violences sur les femmes et les enfants n’apparaissent pas ou peu dans les discours oraux et écrits portant sur la violence masculine. Le recours systématique de l’euphémisation permet de masquer la gravité de ces violences et d’atténuer la responsabilité des agresseurs, puisqu’elle répertorie leurs actions de manière floue et détournée. Ainsi, les hommes sont généralement absents des sujets traitant de la violence masculine envers les femmes et les enfants. On va parler de violence domestique ou de violence conjugale au lieu de dire : il a tabassé sa femme ; on évoque des familles incestueuses alors que les pères violent leurs enfants. La violence, c’est très vieux, c’est même historique; l’Histoire nous livre un langage populaire qui  renvoie à la domination et la violence. Preuve en est : l’expression « violence masculine » n’apparaît pas dans les textes, contrairement aux termes « viol, agression », etc. ; ce phénomène se retrouve également dans les écrits issus d’organisations internationales ou gouvernementales. Par exemple, la Communauté européenne a publié un document intitulé La protection des femmes contre la violence, mais sur 50 pages, 311 termes évoquent la violence masculine sans qu’elle soit nommée ! En bref : « Les femmes et les enfants sont violés, mais on ne sait pas par qui. » (Patrizia Romito, 2006)

 

            De même, le vocabulaire et les discours actuels liés à la sexualité sont souvent dégradants et créent un amalgame entre sexualité et violence (la plupart des injures sont connotées sexuellement, les « blagues », les sous-entendus graveleux, etc. C’est drôle ! Et ça banalise – qu’on soit d’accord ou pas). Les mots utilisés pour parler de la violence sexuelle sont ambigus ; les termes « agression sexuelles, viols », etc. sont remplacés dans le langage populaire par « attouchements, caresses, fellations, relations sexuelles », etc., qui eux appartiennent au registre de l’amour et de la sexualité. Par exemple, dans la famille on ne dira pas : Papi a violé le petit Corentin, mais : Papi a été un peu trop affectueux avec le petit. Quel coquin ce papi.

Inversement, pour évoquer la sexualité on emploie un lexique violent du registre de la guerre et de la chasse : tirer un coup, défoncer, etc. « T’as vu aux infos, la meuf elle s’est faite défoncer par 5 mecs dans une tournante, balaise ! En même temps, t’as vu comment elle était habillée » Non en fait. Elle s’est faite violer, et le seul responsable, c’est le violeur. C’est grave, elle ne s’en remettra probablement jamais, sa vie ne sera plus jamais la même. Peut-être même qu’elle en mourra.

Voilà, la culture du viol, c’est tout ça.

Sources :
- Dussy, Dorothée
- Kieser ‘l baz, Illel
- Romito, Patrizia