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Enfance violée, maturité volée

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 27/10/2023


Un monde où tout paraît irréel

 

Bien sûr ces personnes ne sont pas dénuées de sentiments ni d'émotions et leurs sensations leur permettent une adhésion au monde qui peut s'avérer performante. Il leur manque cependant ce lien essentiel à leur histoire et à leur patrimoine psychique qui crée l'unité d'une personne. C'est cette absence d'unité qui est à l'origine d'un sentiment de manque ou d'insatisfaction. Dans leur monde tout peut paraître instable, fragile voire irréel. Les témoignages foisonnent qui font part de cette étrangeté d'appartenance à un monde irréel. Que se passe-t-il si un exilé, forgé à l'imitation, veut exprimer quelque chose de profond qui lui est spécifique ? Il recourt à tous les schémas de son passé, à sa langue maternelle, aux rites de son enfance, il retourne à son passé pour trouver une libre voie d'expression de sa sensibilité mais aussi pour y retrouver l'authenticité de ses affects et émotions. C'est pourquoi le réflexe communautaire est parfois si puissant chez ceux qui sont exilés. La communauté entretient « les saveurs du pays ». Elle demeure le gîte le plus approprié pour accueillir la souffrance. Si la nation d'accueil se fait indifférente, le réflexe communautaire s'accentue au lieu de se diluer ...

Dans des cas de violences impliquant les parents ce recours n'existe pas. Pire ! Chaque fois que l'individu, par réflexe, recourt au puits de son histoire, il retrouve ce puissant sentiment de terreur et de trahison qui le tenait durant sa soumission aux violences de l'autre. La conscience bute sur le mur de la souffrance mais aussi sur le grand vide généré par la trahison des parents. D'où, en retour, un tout aussi puissant sentiment que tout est vain. L'Ego est chaque fois confirmé, en quelque sorte, dans son statut flottant, instable voire éphémère doublé d'une très forte sensation de solitude. Cet isolement, cette absence de repère confine l'individu dans un univers de doutes, voire de culpabilité. Il n'existe pas de communauté des rescapés de la pédocriminalité.... Or, parler, échanger, savoir que d'autres connaissent les mêmes troubles tend à amoindrir la pression des sentiments de culpabilité et d'étrangeté. C'est pour cela que le groupe de parole, lieu d'échange et d'accueil, est un espace ou la guérison fait ses premières avancées. En France, il n'en existe pratiquement pas ... et il n'est pas nécessaire qu'un tel groupe soit animé par un spécialiste, la seule volonté d'échange suffit. N'oublions pas que père et mère constituent des supports de représentations autour desquels la vie du futur adulte se constitue. Que l'un ou l'autre de ses parents ou les deux viennent à défaillir et c'est l'ensemble de l'édifice des représentations qui s'écroule. L'être confronté à ce drame doit affronter une catastrophe psychique.

Des enfants abandonnés parviendront à trouver des représentations de substitution dans leur entourage proche voire auprès de parents adoptifs car rien dans leur vie ne s'oppose à cela. L'abandon par les parents biologiques deviendra un point focal vers lequel la conscience se tournera quand celle-ci sera assez solide pour fouiller dans les entrailles de la mémoire, trouver les angoisses de l'attente, de la faim de tendresse, vivre l'absence des odeurs du corps d'une mère à jamais disparue ...

La conscience de l'être présent sera suffisante car il y aura eu une autre chaleur, d'autres attentions, plus calmes et porteuses d'avenir. Mais pour l'enfant violenté il existe un piège terrible. Il devient l'esclave de son prédateur qui le prive du même coup de la faculté de créer des liens ailleurs donc de se forger des représentations substitutives. L'enfant vit un emprisonnement et un esclavage dont il ne saisit pas le sens. Il est trahi par sa parenté et par son destin. L'adulte pédocriminel est aussi vigilant que le gardien d'un trésor, il ne laisse rien filer hors de son contrôle. Chaque fois que ces enfants réussissent à trouver un mieux-être ailleurs, soit auprès d'un autre adulte, à l'hôpital, etc. le prédateur se mobilise pour briser ce lien. J'ai souvenir d'un homme de 70 ans, beau-père d'une fillette qu'il avait soumise à ses désirs durant de nombreuses années. Trente ans plus tard, rien n'ayant filtré dans la famille, il était toujours là, apparemment serviable et aux petits soins pour sa belle-fille, toujours célibataire. Sa vigilance le poussait à intervenir sur tout dans la vie de cette femme, mais bien sûr pour lui rendre service. En fait, même s'il avait changé de méthode, il demeurait le gardien de la prison de l'enfance et dont il avait forgé les barreaux. C'est cette sauvagerie de l'enfermement, plus que le chantage, qui fabrique un terrible univers de silence. Le chantage intervient de surcroît, si ce n'est les coups ! Nous comprendrons donc que l'enfant dont on aurait repéré qu'il est l'objet de viols répétés qu'il a rapidement besoin d'être isolé du milieu criminogène. Mais ils présentent également des signes manifestes d'une grande fragilité. Sortir du silence, permettre l'expression libre des émotions ravalées représente une seconde urgence. A l'occasion d'une psychothérapie, que convient-il de faire ? Renforcer le Moi ? Créer des abréactions pour « exorciser » la blessure comme le font certaines psychothérapies humanistes ? Renforcer le Moi, ce serait comme réparer les étages d'une gigantesque tour qui reposerait sur des piliers instables. Colosse au pied d'argile, la menace serait encore plus grande. On peut néanmoins évoquer des personnalités qui se sont créé de véritables blindages grâce à un talent particulier qui a été surexploité. Un travail sur soi représente, pour ces personnes, un très grand danger si on ne procède pas avec moult précautions. En effet, la perte de cet outil de valorisation que représente ce talent, amènerait un vide terrible, difficile à surmonter. Provoquer des abréactions, ce serait courir le risque de déclencher un gigantesque embrasement de la psyché.

Notons en passant qu'une psychanalyse n'est pas possible car toute cure repose sur un Moi fort ! C'est un postulat de départ pour toute cure. Il reste donc la psychothérapie comme premier recours et je ne rentrerai pas ici dans les détails sur la distinction de l'une et l'autre. J'ai remarqué que la meilleure façon d'aider ces personnes consistait en un premier temps à leur permettre de retrouver confiance en leurs instincts afin qu'elles trouvent en elles la capacité de réagir aux sollicitations extérieures avec un maximum de sérénité. C'est à partir du rétablissement de l'alliance entre le Moi et les instincts que celui-ci peut enfin sortir de sa crispation initiale et consentir à faire les deuils nécessaires à l'édification de nouvelles attitudes. Un rêve me fait penser à cet itinéraire intérieur : Une femme rêve qu'elle se trouve dans une voiture qu'elle contrôle mal. L'habitacle est presque vide, froid. Notre personne est sur un pont très haut dont l'architecture est très élégante mais fragile, perchée au-dessus de l'océan. Tant bien que mal, elle parvient à un monticule où elle récupère un autre véhicule, neuf celui-là, de couleur blanche. Il se trouve du monde avec elle. L'ambiance est plus agréable, elle est au volant et n'a aucun mal à prendre la conduite en main. Cependant elle est effrayée à l'idée de devoir rebrousser chemin. En fait, elle se dirige sur un chemin non balisé, très caillouteux [... ] Le rêve se poursuit sur une thématique différente. Plusieurs évocations importantes émergent de ce rêve et qui peuvent nous servir de modèle. Tout d'abord, le caractère froid et vide de l'habitacle du véhicule initial laisse penser à ce monde où les émotions originales sont comme gelées. En fait, le rêve évoque le vide, l'absence de décorum. Malgré une apparence esthétique - la beauté du pont - la vie se réduit à la mécanique, à un assemblage de matériaux. L'image du pont enjambant un bras d'océan illustre fort opportunément le caractère lointain de la vision du monde, qui s'associe aux aspects froids et mécaniques de la vie. Le Moi, dans cet ensemble, ne contrôle rien. Perché au-dessus des flots de l'Inconscient, il ne peut qu'être saisi par la panique. On peut penser que cette personne s'est construit un monde artificiel fondé sur la raison et la pensée, selon les préceptes de notre monde. Cet univers peut être « beau » mais il est aussi source de vertige. Arrivé au sol, le paysage rupestre contraste avec le côté plutôt « moderne », dépouillé, de la première partie. Le Moi retrouve contact avec une forme de nature en lui. Mais cela n'est pas incompatible avec les aspects techniques de la modernité. Notre personne conduit une voiture au contact de nouveaux éléments humains qui représentent autant de nouvelles adaptations ou attitudes dans la vie. Le Moi maîtrise cette fois la conduite. Il n'échappera cependant pas au chemin caillouteux qui représente souvent l'itinéraire de la vie, l'acquisition des expériences de l'existence. Mais c'est aussi la vie avec ses aspects rustiques, voire sauvages. Si le Moi reprend maintenant le contrôle de la conduite, en contact direct avec la nature alentour, il ne peut esquiver la nécessité de se frotter aux éléments avec ce que cela représente de difficultés mais le sentiment est désormais là, facilitant la vie sociale. La fin du rêve ne dit pas dans quelle direction le Moi se dirige. Peut-être s'agit-il de revenir au point où le Moi a été gravement lésé ? D'autres rêves viendront peut-être pour donner cette information ? Peut-être le Moi peut-il se passer de ce genre d’information ? Trop savoir peut nuire ! Préparer l'avenir à des parents de substitution est une tâche importante. Là où les parents biologiques ont failli, la mémoire ne pourra pas réparer le manque, l'absence, la blessure mais la psyché est si souple qu'elle peut se fixer sur des symboles là où la réalité est défaillante. Rêve d'une femme de 30 ans : Poursuivie par des voyous au caractère indéfini, elle court vers une grande surface toute proche où un homme d'âge mûr lui permet de se réfugier ... Alors que le centre commercial était désert, soudain, tout s'anime, comme lors d'un samedi de grande fréquentation ... Elle est désormais en sécurité. Si l'on se place selon un point de vue dynamique - personnages et objets du rêve représentent des éléments de la psyché -, voilà un élément masculin dont la crainte qu'il suscite pousse la personne à rejoindre un lieu de fort croisement social - le centre commercial - là, un homme plus amène que les premiers l'accueille chaleureusement. Comme s'il existait une sorte de complicité objective entre les jeunes voyous, transformés en rabatteurs, et cet homme. L'image suspecte, voire agressive du masculin - les voyous - subit une transformation qui passe par un changement d'attitude : cette femme, très longtemps contenue dans sa solitude, finit par adopter des comportements plus ouverts aux autres. Tant que l'on s'en tient au jeu des images, notre entendement n'est pas choqué mais dès que l'on se demande à quoi réfèrent ces voyous, nos préjugés chancellent. En effet, ces derniers renvoient directement à la relation que cette femme entretient avec les sujets masculins. Et l'agressivité développée dans le rêve est tissée de cette défiance à l'égard de l'homme qui est directement en rapport avec ce qu'elle a subi dans l'enfance. Paradoxalement son instinct, pour peu qu'elle l'entende, la pousse vers une restauration de l'image de l'homme, du père, figuré par celui l'accueille dans le centre commercial. La rencontre avec le masculin passe par la restauration de l'image du père, sorte de régression positive. Autre enseignement parallèle du rêve : l'image de l'homme est directement associée au social, appelons-le aussi inconscient collectif. Reprenant le scénario onirique sous une autre forme : cette femme doit faire le deuil d'une rencontre au masculin sous la forme directe - jeunes hommes prédateurs-, il lui faut d'abord faire le deuil de l'harmonie avec le père réel - les viols de l'enfance ne le permettent pas - et passer au stade de la représentation, du symbole si l'on veut, pour se reconstruire. L'image du père, unifié dans un processus normal, est désormais apparemment éclatée en de multiples formes sociales, culturelles et humaines mais la psyché, elle, fait déjà le lien puisqu'elle lui présente cette image sous la forme d'un homme d'âge mûr, dans le centre commercial. Si l'itinéraire de cette personne paraît sinueux, au regard de celui d'une jeune femme qui aurait vécu « normalement », il n'en n'est pas moins porteur d'une future harmonie, laquelle passe par un deuil difficile mais qui la mettra à distance des nombreuses rancœurs accumulées au cours de son douloureux début de vie dans la relation à l'homme et au masculin.

 

 

Illel Kieser 'l Baz, Inceste, pédocriminalité: crimes contre l'humanité,

 

Première parution, février 2007, Ill el Kieser 'l Baz