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Enfance violée, maturité volée

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 27/10/2023


Une société qui tolère la perversion

Qu'on veuille se l'avouer ou non, notre société se transforme peu à peu en validant, sous différentes formes, des valeurs de prédation. L'économie est le secteur qui le démontre chaque jour mais il est des lieux où cette tendance prédatrice se fait insidieuse, voire perverse. Le viol de l'enfant, loin de constituer une atteinte marginale, est un mal qui nous ronge au plus profond et qui révèle, bien plus que le caractère inhumain de l'économie de marché, une abolition progressive et dangereuse du sentiment de cohésion dont toute culture a besoin pour durer ...

Nos cultures hédonistes conçoivent mal qu'il existe des lieux de l'âme humaine qui ne connaissent la paix que dans des circonstances particulières, rarement selon le cheminement qu'une science victorieuse voudrait direct et sans attente.

Les méandres de l'âme échappent encore à la lumière des experts. La question de la guérison hante cependant l'adulte rescapé des violences de l'enfance. Or, il faut bien l'avouer, nos modernes psychologies ne sont pas armées pour faire face aux énigmes imposées par ce fléau. Il y a plusieurs explications à ce manque.

En premier lieu, la société est incapable de faire face aux violences infligées aux enfants, elle se contente d'avancer pas à pas, au cas par cas, en aveugle et de manière souvent opportuniste. Chacun se souvient du « procès d'Outreau », il y eut aussi l'affaire Dutroux, aux USA, la hiérarchie catholique dut, sous la pression médiatique, réagir vivement contre certains clercs mais sans jamais se remettre en cause. Au Canada, un film faisant référence à des faits réels, Les enfants de St Vincent, rapporte comment, dans un pensionnat de garçons, des prêtres abusèrent impunément de leurs pensionnaires ... Chaque affaire soulève une vague médiatique gonflée par le flot des passions, chacun s'active, on s'interpelle, on « commissionne » mais l'on attend que les flots accusateurs se retirent à nouveau dans leur lit. Ce silence médiatique laisse croire qu'en dehors de ces affaires à scandale, il ne se passe presque rien. Rien n'est plus faux ni plus inquiétant car de nombreuses victimes anonymes s'endorment en se demandant ce qui se passe en ce monde pour être ainsi abandonnées du destin, de Dieu, des autres, de la société.

L'aveuglement de nos cultures n'est pas fortuit, la violence faite à l'enfant révèle une béance terrible dans le formidable édifice de notre « civilisation ». Il y aurait fort à méditer pour nos modernes philosophes sur une civilisation qui serait le fleuron de l'univers mais qui laisserait ses enfants en sacrifice à quelques monstres.

Il existe une masse incompressible de délinquance et de monstruosité, tel serait le prix à payer sur la route du progrès ... L'expert nous assomme d'une savante énumération statistique qui clôt toute velléité protestataire.

Si vous ne parvenez pas à dormir, revoyant sans cesse d'anciennes scènes horribles, rassurez-vous, vous êtes le tribut du progrès, un rouage nécessaire pour le confort de vos congénères.

La pédocriminalité..., toutes formes confondues, n'est pas exceptionnelle, elle touche toutes les couches sociales et, en certains cas, elle se transforme en institution ! Et cela se retrouve dans des procès ou le prévenu est absous, ses accusatrices mises au ban.

Cet aveuglement de la société conduit à un désintérêt pour ces crimes. On en sait beaucoup sur les criminels en série mais si peu sur les pervers anonymes, ceux des beaux quartiers, comme ceux des barres d'immeubles de banlieues, ceux qui, dans les institutions scolaires ou sociales guettent, à l'affût d'une victime solitaire et mal assurée ... Le pervers est partout et si nos yeux peinent à le démasquer, c'est justement parce que, pervers, il sait manipuler et retourner les situations critiques à son avantage.

Nos connaissances psychologiques, en ce domaine, se limitent à l'héritage freudien plus ou moins trituré – il n'est pas très net, en effet, concernant le crime d'inceste – ou bien aux doctrines comportementalistes contemporaines dont B. Cyrulnik est l'apôtre francophone.

Entre ces deux tendances, beaucoup de psychothérapeutes opèrent, à l'ombre des circuits de publication et de parole.

Il n'est pas bon, dans la culture académique, celle du consensus silencieux, de prêcher une autre parole que celle des experts. La guérison, pour l'adulte dont l'enfance a été volée, passe par des chemins sinueux, certes, mais ils sont possibles.

Au cours de mon cheminement, j'ai souvent noté des similitudes entre les rescapés de l'enfance violée et les rescapés d'autres violences : exil forcé, famine, guerres et tortures. Plus ces traumatismes ont été subis dans l'enfance, plus la similitude est notable ... C'est ce qui m'a conduit à m'interroger sur les mécanismes mis en jeu par l'entité humaine pour forcer les portes de la vie et faire en sorte qu'un futur devienne possible. Je sais cependant que ce futur est hanté par de nombreux fantômes qui continuent d'errer dans le silence de l'âme. Bien souvent, le bonheur n'est possible qu'au prix d'immenses efforts. L'adulte volé doit maintenir à bras forcé un barrage entre ces monstres intérieurs et sa vie auprès de ceux qu'il aime.