Une société qui tolère la perversion
Qu'on veuille se l'avouer ou non, notre société se transforme peu à peu en validant, sous différentes formes, des valeurs de prédation. L'économie est le secteur qui le démontre chaque jour mais il est des lieux où cette tendance prédatrice se fait insidieuse, voire perverse. Le viol de l'enfant, loin de constituer une atteinte marginale, est un mal qui nous ronge au plus profond et qui révèle, bien plus que le caractère inhumain de l'économie de marché, une abolition progressive et dangereuse du sentiment de cohésion dont toute culture a besoin pour durer ...
Nos cultures hédonistes conçoivent mal qu'il existe des lieux de l'âme humaine qui ne connaissent la paix que dans des circonstances particulières, rarement selon le cheminement qu'une science victorieuse voudrait direct et sans attente.
Les méandres de l'âme échappent encore à la lumière des experts. La question de la guérison hante cependant l'adulte rescapé des violences de l'enfance. Or, il faut bien l'avouer, nos modernes psychologies ne sont pas armées pour faire face aux énigmes imposées par ce fléau. Il y a plusieurs explications à ce manque.
En premier lieu, la société est incapable de faire face aux violences infligées aux enfants, elle se contente d'avancer pas à pas, au cas par cas, en aveugle et de manière souvent opportuniste. Chacun se souvient du « procès d'Outreau », il y eut aussi l'affaire Dutroux, aux USA, la hiérarchie catholique dut, sous la pression médiatique, réagir vivement contre certains clercs mais sans jamais se remettre en cause. Au Canada, un film faisant référence à des faits réels, Les enfants de St Vincent, rapporte comment, dans un pensionnat de garçons, des prêtres abusèrent impunément de leurs pensionnaires ... Chaque affaire soulève une vague médiatique gonflée par le flot des passions, chacun s'active, on s'interpelle, on « commissionne » mais l'on attend que les flots accusateurs se retirent à nouveau dans leur lit. Ce silence médiatique laisse croire qu'en dehors de ces affaires à scandale, il ne se passe presque rien. Rien n'est plus faux ni plus inquiétant car de nombreuses victimes anonymes s'endorment en se demandant ce qui se passe en ce monde pour être ainsi abandonnées du destin, de Dieu, des autres, de la société.
L'aveuglement de nos cultures n'est pas fortuit, la violence faite à l'enfant révèle une béance terrible dans le formidable édifice de notre « civilisation ». Il y aurait fort à méditer pour nos modernes philosophes sur une civilisation qui serait le fleuron de l'univers mais qui laisserait ses enfants en sacrifice à quelques monstres.
Il existe une masse incompressible de délinquance et de monstruosité, tel serait le prix à payer sur la route du progrès ... L'expert nous assomme d'une savante énumération statistique qui clôt toute velléité protestataire.
Si vous ne parvenez pas à dormir, revoyant sans cesse d'anciennes scènes horribles, rassurez-vous, vous êtes le tribut du progrès, un rouage nécessaire pour le confort de vos congénères.
La pédocriminalité..., toutes formes confondues, n'est pas exceptionnelle, elle touche toutes les couches sociales et, en certains cas, elle se transforme en institution ! Et cela se retrouve dans des procès ou le prévenu est absous, ses accusatrices mises au ban.
Cet aveuglement de la société conduit à un désintérêt pour ces crimes. On en sait beaucoup sur les criminels en série mais si peu sur les pervers anonymes, ceux des beaux quartiers, comme ceux des barres d'immeubles de banlieues, ceux qui, dans les institutions scolaires ou sociales guettent, à l'affût d'une victime solitaire et mal assurée ... Le pervers est partout et si nos yeux peinent à le démasquer, c'est justement parce que, pervers, il sait manipuler et retourner les situations critiques à son avantage.
Nos connaissances psychologiques, en ce domaine, se limitent à l'héritage freudien plus ou moins trituré – il n'est pas très net, en effet, concernant le crime d'inceste – ou bien aux doctrines comportementalistes contemporaines dont B. Cyrulnik est l'apôtre francophone.
Entre ces deux tendances, beaucoup de psychothérapeutes opèrent, à l'ombre des circuits de publication et de parole.
Il n'est pas bon, dans la culture académique, celle du consensus silencieux, de prêcher une autre parole que celle des experts. La guérison, pour l'adulte dont l'enfance a été volée, passe par des chemins sinueux, certes, mais ils sont possibles.
Au cours de mon cheminement, j'ai souvent noté des similitudes entre les rescapés de l'enfance violée et les rescapés d'autres violences : exil forcé, famine, guerres et tortures. Plus ces traumatismes ont été subis dans l'enfance, plus la similitude est notable ... C'est ce qui m'a conduit à m'interroger sur les mécanismes mis en jeu par l'entité humaine pour forcer les portes de la vie et faire en sorte qu'un futur devienne possible. Je sais cependant que ce futur est hanté par de nombreux fantômes qui continuent d'errer dans le silence de l'âme. Bien souvent, le bonheur n'est possible qu'au prix d'immenses efforts. L'adulte volé doit maintenir à bras forcé un barrage entre ces monstres intérieurs et sa vie auprès de ceux qu'il aime.
L'écoulement de l'énergie psychique
Dans un essai sur les traumatismes sexuels de l'enfance (Inceste, pédocriminalité, crimes contre l’humanité, 2005, Fleur de Lys éd. Montréal) j’ai montré que la survie de l'Ego reposait sur la capacité qu'avait l'énergie psychique de s'écouler par des circuits dérivés qui contournent la blessure de l'enfance, laquelle, en fait, se constitue comme un chapelet de traumatismes - répétition, silence, soumission pour la victime.
Jung a nommé Fonction transcendante cette capacité de la psyché à inventer sans cesse des moyens de réparation. C'est « ... cette faculté qu'a la psyché inconsciente de guider l'être humain arrêté dans une certaine situation vers une situation nouvelle en le transformant. Chaque fois qu'un individu est bloqué par des circonstances ou par une attitude dont il ne parvient pas à se sortir, la fonction transcendante produit des rêves et des phantasmes qui l'aident à construire, sur un plan symbolique et imaginaire, une nouvelle façon de vivre qui soudain prend forme et conduit à une attitude nouvelle. »
Ces circuits de dérivation trouvent leurs sources au plus profond de l'être, ce qui revient à dire qu'ils traduisent une part importante de l'authenticité de la personne, même si cette originalité évolue sans grande cohérence.
Qu'est-ce que cela veut bien dire ? Nous allons retrouver dans la vie quotidienne des supports de représentations qui, eux, seront richement baignés par des affects enracinés. Contrairement à ceux qui résultent d'une imitation, comme je l'ai évoqué à propos des exilés ou des rescapés de conflits armés.
Dans sa prison de l'enfance, le petit être s'est créé des coins d'intimité à l'abri de la vigilance de son prédateur. Dans ces espaces préservés, à l'abri du regard dangereux de l'adulte, l'enfant évolue, mûrit mais sans ordre, sans le support indispensable d'un guide moral qui donnerait au futur les raisons de la vie. Des réflexes se créent et s'affinent dans cet espace, offrant à l'âme un semblant d'existence.
L'adulte perpétue ce genre de réflexe dans sa vie désormais un peu plus à l'abri. Ces comportements, souvent inconscients sont banalisés et passent inaperçus mais ils sont absolument nécessaires car ce sont eux qui assurent la véritable cohésion de l'être. Approcher et comprendre ces rescapés passe par une sensible appréhension de leur monde intérieur, celui qui a échappé à la prédation. Dans un premier temps, je m'efforce donc d'établir le contact avec ce monde. Et je dispose d'un fil conducteur très solide : les affects - impressions, sensations, émotions, etc. Même négligés par la personne ces lieux de la psyché sont très fortement chargés d'affects, certains très violents et primaires mais, au moins, authentiquement enracinés dans l'histoire du sujet. J'entends parfois, à ce propos : « C'est la seule chose qui me permet de tenir ! »
Tenir un journal, lire, dessiner, faire des collections, etc. sont autant de supports. J'ai connu un jeune homme qui passait ses loisirs à courir les bouquinistes à la recherche de livres rares sur des sujets bien précis.
« Comme ça, disait-il, ça me détend » Et ces livres ne lui servaient à rien, aucune activité ne leur était liée, ils encombraient plutôt son appartement. Mais après un temps on découvrit ensemble que cette activité négligeable le mettait en contact avec son grand-père, la seule personne porteuse d'une représentation parentale positive.
Ces comportements peuvent parfois apparaître compulsifs et immatures, donc suspects alors qu'ils sont porteurs de richesses et de liens. D'où la nécessité d'une très grande prudence dans l'usage de conclusions ou d'interprétations. En général, je n'interprète absolument pas, je fouille plutôt dans la vie domestique de la personne à la recherche du moindre signe d’un « perchoir d'affects ».
J'ai constaté que, très souvent, le simple fait de revaloriser ces activités ou ces affinités singulières, permettait la création de différents réseaux d'activités et de motivations à partir desquels la vie se reconstituait de façon plus enracinée. Et c'est cela qui permettra progressivement la substitution d'un Moi solide à l'Ego fragile et instable qui existait auparavant en surface. (J'opère souvent un glissement de la notion de Moi à celle d'Ego sans dire pourquoi. Il serait trop long de donner les raisons précises. Disons que l'Ego serait la fine pointe, la peau, du Moi, lequel s'enracine dans les différentes strates de l'inconscient.
Bien entendu cette topique n'est absolument pas commune mais elle a l'avantage d'être opérationnelle et utile). Il existe en tout être une étonnante capacité à rebondir et à user du moindre ancrage de motivation pour reconstruire une personnalité. Mais cela ne se fait pas aussi simplement que le dit B. Cyrulnik.
Un monde où tout paraît irréel
Bien sûr ces personnes ne sont pas dénuées de sentiments ni d'émotions et leurs sensations leur permettent une adhésion au monde qui peut s'avérer performante. Il leur manque cependant ce lien essentiel à leur histoire et à leur patrimoine psychique qui crée l'unité d'une personne. C'est cette absence d'unité qui est à l'origine d'un sentiment de manque ou d'insatisfaction. Dans leur monde tout peut paraître instable, fragile voire irréel. Les témoignages foisonnent qui font part de cette étrangeté d'appartenance à un monde irréel. Que se passe-t-il si un exilé, forgé à l'imitation, veut exprimer quelque chose de profond qui lui est spécifique ? Il recourt à tous les schémas de son passé, à sa langue maternelle, aux rites de son enfance, il retourne à son passé pour trouver une libre voie d'expression de sa sensibilité mais aussi pour y retrouver l'authenticité de ses affects et émotions. C'est pourquoi le réflexe communautaire est parfois si puissant chez ceux qui sont exilés. La communauté entretient « les saveurs du pays ». Elle demeure le gîte le plus approprié pour accueillir la souffrance. Si la nation d'accueil se fait indifférente, le réflexe communautaire s'accentue au lieu de se diluer ...
Dans des cas de violences impliquant les parents ce recours n'existe pas. Pire ! Chaque fois que l'individu, par réflexe, recourt au puits de son histoire, il retrouve ce puissant sentiment de terreur et de trahison qui le tenait durant sa soumission aux violences de l'autre. La conscience bute sur le mur de la souffrance mais aussi sur le grand vide généré par la trahison des parents. D'où, en retour, un tout aussi puissant sentiment que tout est vain. L'Ego est chaque fois confirmé, en quelque sorte, dans son statut flottant, instable voire éphémère doublé d'une très forte sensation de solitude. Cet isolement, cette absence de repère confine l'individu dans un univers de doutes, voire de culpabilité. Il n'existe pas de communauté des rescapés de la pédocriminalité.... Or, parler, échanger, savoir que d'autres connaissent les mêmes troubles tend à amoindrir la pression des sentiments de culpabilité et d'étrangeté. C'est pour cela que le groupe de parole, lieu d'échange et d'accueil, est un espace ou la guérison fait ses premières avancées. En France, il n'en existe pratiquement pas ... et il n'est pas nécessaire qu'un tel groupe soit animé par un spécialiste, la seule volonté d'échange suffit. N'oublions pas que père et mère constituent des supports de représentations autour desquels la vie du futur adulte se constitue. Que l'un ou l'autre de ses parents ou les deux viennent à défaillir et c'est l'ensemble de l'édifice des représentations qui s'écroule. L'être confronté à ce drame doit affronter une catastrophe psychique.
Des enfants abandonnés parviendront à trouver des représentations de substitution dans leur entourage proche voire auprès de parents adoptifs car rien dans leur vie ne s'oppose à cela. L'abandon par les parents biologiques deviendra un point focal vers lequel la conscience se tournera quand celle-ci sera assez solide pour fouiller dans les entrailles de la mémoire, trouver les angoisses de l'attente, de la faim de tendresse, vivre l'absence des odeurs du corps d'une mère à jamais disparue ...
La conscience de l'être présent sera suffisante car il y aura eu une autre chaleur, d'autres attentions, plus calmes et porteuses d'avenir. Mais pour l'enfant violenté il existe un piège terrible. Il devient l'esclave de son prédateur qui le prive du même coup de la faculté de créer des liens ailleurs donc de se forger des représentations substitutives. L'enfant vit un emprisonnement et un esclavage dont il ne saisit pas le sens. Il est trahi par sa parenté et par son destin. L'adulte pédocriminel est aussi vigilant que le gardien d'un trésor, il ne laisse rien filer hors de son contrôle. Chaque fois que ces enfants réussissent à trouver un mieux-être ailleurs, soit auprès d'un autre adulte, à l'hôpital, etc. le prédateur se mobilise pour briser ce lien. J'ai souvenir d'un homme de 70 ans, beau-père d'une fillette qu'il avait soumise à ses désirs durant de nombreuses années. Trente ans plus tard, rien n'ayant filtré dans la famille, il était toujours là, apparemment serviable et aux petits soins pour sa belle-fille, toujours célibataire. Sa vigilance le poussait à intervenir sur tout dans la vie de cette femme, mais bien sûr pour lui rendre service. En fait, même s'il avait changé de méthode, il demeurait le gardien de la prison de l'enfance et dont il avait forgé les barreaux. C'est cette sauvagerie de l'enfermement, plus que le chantage, qui fabrique un terrible univers de silence. Le chantage intervient de surcroît, si ce n'est les coups ! Nous comprendrons donc que l'enfant dont on aurait repéré qu'il est l'objet de viols répétés qu'il a rapidement besoin d'être isolé du milieu criminogène. Mais ils présentent également des signes manifestes d'une grande fragilité. Sortir du silence, permettre l'expression libre des émotions ravalées représente une seconde urgence. A l'occasion d'une psychothérapie, que convient-il de faire ? Renforcer le Moi ? Créer des abréactions pour « exorciser » la blessure comme le font certaines psychothérapies humanistes ? Renforcer le Moi, ce serait comme réparer les étages d'une gigantesque tour qui reposerait sur des piliers instables. Colosse au pied d'argile, la menace serait encore plus grande. On peut néanmoins évoquer des personnalités qui se sont créé de véritables blindages grâce à un talent particulier qui a été surexploité. Un travail sur soi représente, pour ces personnes, un très grand danger si on ne procède pas avec moult précautions. En effet, la perte de cet outil de valorisation que représente ce talent, amènerait un vide terrible, difficile à surmonter. Provoquer des abréactions, ce serait courir le risque de déclencher un gigantesque embrasement de la psyché.
Notons en passant qu'une psychanalyse n'est pas possible car toute cure repose sur un Moi fort ! C'est un postulat de départ pour toute cure. Il reste donc la psychothérapie comme premier recours et je ne rentrerai pas ici dans les détails sur la distinction de l'une et l'autre. J'ai remarqué que la meilleure façon d'aider ces personnes consistait en un premier temps à leur permettre de retrouver confiance en leurs instincts afin qu'elles trouvent en elles la capacité de réagir aux sollicitations extérieures avec un maximum de sérénité. C'est à partir du rétablissement de l'alliance entre le Moi et les instincts que celui-ci peut enfin sortir de sa crispation initiale et consentir à faire les deuils nécessaires à l'édification de nouvelles attitudes. Un rêve me fait penser à cet itinéraire intérieur : Une femme rêve qu'elle se trouve dans une voiture qu'elle contrôle mal. L'habitacle est presque vide, froid. Notre personne est sur un pont très haut dont l'architecture est très élégante mais fragile, perchée au-dessus de l'océan. Tant bien que mal, elle parvient à un monticule où elle récupère un autre véhicule, neuf celui-là, de couleur blanche. Il se trouve du monde avec elle. L'ambiance est plus agréable, elle est au volant et n'a aucun mal à prendre la conduite en main. Cependant elle est effrayée à l'idée de devoir rebrousser chemin. En fait, elle se dirige sur un chemin non balisé, très caillouteux [... ] Le rêve se poursuit sur une thématique différente. Plusieurs évocations importantes émergent de ce rêve et qui peuvent nous servir de modèle. Tout d'abord, le caractère froid et vide de l'habitacle du véhicule initial laisse penser à ce monde où les émotions originales sont comme gelées. En fait, le rêve évoque le vide, l'absence de décorum. Malgré une apparence esthétique - la beauté du pont - la vie se réduit à la mécanique, à un assemblage de matériaux. L'image du pont enjambant un bras d'océan illustre fort opportunément le caractère lointain de la vision du monde, qui s'associe aux aspects froids et mécaniques de la vie. Le Moi, dans cet ensemble, ne contrôle rien. Perché au-dessus des flots de l'Inconscient, il ne peut qu'être saisi par la panique. On peut penser que cette personne s'est construit un monde artificiel fondé sur la raison et la pensée, selon les préceptes de notre monde. Cet univers peut être « beau » mais il est aussi source de vertige. Arrivé au sol, le paysage rupestre contraste avec le côté plutôt « moderne », dépouillé, de la première partie. Le Moi retrouve contact avec une forme de nature en lui. Mais cela n'est pas incompatible avec les aspects techniques de la modernité. Notre personne conduit une voiture au contact de nouveaux éléments humains qui représentent autant de nouvelles adaptations ou attitudes dans la vie. Le Moi maîtrise cette fois la conduite. Il n'échappera cependant pas au chemin caillouteux qui représente souvent l'itinéraire de la vie, l'acquisition des expériences de l'existence. Mais c'est aussi la vie avec ses aspects rustiques, voire sauvages. Si le Moi reprend maintenant le contrôle de la conduite, en contact direct avec la nature alentour, il ne peut esquiver la nécessité de se frotter aux éléments avec ce que cela représente de difficultés mais le sentiment est désormais là, facilitant la vie sociale. La fin du rêve ne dit pas dans quelle direction le Moi se dirige. Peut-être s'agit-il de revenir au point où le Moi a été gravement lésé ? D'autres rêves viendront peut-être pour donner cette information ? Peut-être le Moi peut-il se passer de ce genre d’information ? Trop savoir peut nuire ! Préparer l'avenir à des parents de substitution est une tâche importante. Là où les parents biologiques ont failli, la mémoire ne pourra pas réparer le manque, l'absence, la blessure mais la psyché est si souple qu'elle peut se fixer sur des symboles là où la réalité est défaillante. Rêve d'une femme de 30 ans : Poursuivie par des voyous au caractère indéfini, elle court vers une grande surface toute proche où un homme d'âge mûr lui permet de se réfugier ... Alors que le centre commercial était désert, soudain, tout s'anime, comme lors d'un samedi de grande fréquentation ... Elle est désormais en sécurité. Si l'on se place selon un point de vue dynamique - personnages et objets du rêve représentent des éléments de la psyché -, voilà un élément masculin dont la crainte qu'il suscite pousse la personne à rejoindre un lieu de fort croisement social - le centre commercial - là, un homme plus amène que les premiers l'accueille chaleureusement. Comme s'il existait une sorte de complicité objective entre les jeunes voyous, transformés en rabatteurs, et cet homme. L'image suspecte, voire agressive du masculin - les voyous - subit une transformation qui passe par un changement d'attitude : cette femme, très longtemps contenue dans sa solitude, finit par adopter des comportements plus ouverts aux autres. Tant que l'on s'en tient au jeu des images, notre entendement n'est pas choqué mais dès que l'on se demande à quoi réfèrent ces voyous, nos préjugés chancellent. En effet, ces derniers renvoient directement à la relation que cette femme entretient avec les sujets masculins. Et l'agressivité développée dans le rêve est tissée de cette défiance à l'égard de l'homme qui est directement en rapport avec ce qu'elle a subi dans l'enfance. Paradoxalement son instinct, pour peu qu'elle l'entende, la pousse vers une restauration de l'image de l'homme, du père, figuré par celui l'accueille dans le centre commercial. La rencontre avec le masculin passe par la restauration de l'image du père, sorte de régression positive. Autre enseignement parallèle du rêve : l'image de l'homme est directement associée au social, appelons-le aussi inconscient collectif. Reprenant le scénario onirique sous une autre forme : cette femme doit faire le deuil d'une rencontre au masculin sous la forme directe - jeunes hommes prédateurs-, il lui faut d'abord faire le deuil de l'harmonie avec le père réel - les viols de l'enfance ne le permettent pas - et passer au stade de la représentation, du symbole si l'on veut, pour se reconstruire. L'image du père, unifié dans un processus normal, est désormais apparemment éclatée en de multiples formes sociales, culturelles et humaines mais la psyché, elle, fait déjà le lien puisqu'elle lui présente cette image sous la forme d'un homme d'âge mûr, dans le centre commercial. Si l'itinéraire de cette personne paraît sinueux, au regard de celui d'une jeune femme qui aurait vécu « normalement », il n'en n'est pas moins porteur d'une future harmonie, laquelle passe par un deuil difficile mais qui la mettra à distance des nombreuses rancœurs accumulées au cours de son douloureux début de vie dans la relation à l'homme et au masculin.
Illel Kieser 'l Baz, Inceste, pédocriminalité: crimes contre l'humanité,
Première parution, février 2007, Ill el Kieser 'l Baz