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Enfance violée, maturité volée

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 27/10/2023


L'écoulement de l'énergie psychique

 

Dans un essai sur les traumatismes sexuels de l'enfance (Inceste, pédocriminalité, crimes contre l’humanité, 2005, Fleur de Lys éd. Montréal) j’ai montré que la survie de l'Ego reposait sur la capacité qu'avait l'énergie psychique de s'écouler par des circuits dérivés qui contournent la blessure de l'enfance, laquelle, en fait, se constitue comme un chapelet de traumatismes - répétition, silence, soumission pour la victime.

Jung a nommé Fonction transcendante cette capacité de la psyché à inventer sans cesse des moyens de réparation. C'est « ... cette faculté qu'a la psyché inconsciente de guider l'être humain arrêté dans une certaine situation vers une situation nouvelle en le transformant. Chaque fois qu'un individu est bloqué par des circonstances ou par une attitude dont il ne parvient pas à se sortir, la fonction transcendante produit des rêves et des phantasmes qui l'aident à construire, sur un plan symbolique et imaginaire, une nouvelle façon de vivre qui soudain prend forme et conduit à une attitude nouvelle. »

Ces circuits de dérivation trouvent leurs sources au plus profond de l'être, ce qui revient à dire qu'ils traduisent une part importante de l'authenticité de la personne, même si cette originalité évolue sans grande cohérence.

Qu'est-ce que cela veut bien dire ? Nous allons retrouver dans la vie quotidienne des supports de représentations qui, eux, seront richement baignés par des affects enracinés. Contrairement à ceux qui résultent d'une imitation, comme je l'ai évoqué à propos des exilés ou des rescapés de conflits armés.

Dans sa prison de l'enfance, le petit être s'est créé des coins d'intimité à l'abri de la vigilance de son prédateur. Dans ces espaces préservés, à l'abri du regard dangereux de l'adulte, l'enfant évolue, mûrit mais sans ordre, sans le support indispensable d'un guide moral qui donnerait au futur les raisons de la vie. Des réflexes se créent et s'affinent dans cet espace, offrant à l'âme un semblant d'existence.

L'adulte perpétue ce genre de réflexe dans sa vie désormais un peu plus à l'abri. Ces comportements, souvent inconscients sont banalisés et passent inaperçus mais ils sont absolument nécessaires car ce sont eux qui assurent la véritable cohésion de l'être. Approcher et comprendre ces rescapés passe par une sensible appréhension de leur monde intérieur, celui qui a échappé à la prédation. Dans un premier temps, je m'efforce donc d'établir le contact avec ce monde. Et je dispose d'un fil conducteur très solide : les affects - impressions, sensations, émotions, etc. Même négligés par la personne ces lieux de la psyché sont très fortement chargés d'affects, certains très violents et primaires mais, au moins, authentiquement enracinés dans l'histoire du sujet. J'entends parfois, à ce propos : « C'est la seule chose qui me permet de tenir ! »

Tenir un journal, lire, dessiner, faire des collections, etc. sont autant de supports. J'ai connu un jeune homme qui passait ses loisirs à courir les bouquinistes à la recherche de livres rares sur des sujets bien précis.

« Comme ça, disait-il, ça me détend » Et ces livres ne lui servaient à rien, aucune activité ne leur était liée, ils encombraient plutôt son appartement. Mais après un temps on découvrit ensemble que cette activité négligeable le mettait en contact avec son grand-père, la seule personne porteuse d'une représentation parentale positive.

Ces comportements peuvent parfois apparaître compulsifs et immatures, donc suspects alors qu'ils sont porteurs de richesses et de liens. D'où la nécessité d'une très grande prudence dans l'usage de conclusions ou d'interprétations. En général, je n'interprète absolument pas, je fouille plutôt dans la vie domestique de la personne à la recherche du moindre signe d’un « perchoir d'affects ».

J'ai constaté que, très souvent, le simple fait de revaloriser ces activités ou ces affinités singulières, permettait la création de différents réseaux d'activités et de motivations à partir desquels la vie se reconstituait de façon plus enracinée. Et c'est cela qui permettra progressivement la substitution d'un Moi solide à l'Ego fragile et instable qui existait auparavant en surface. (J'opère souvent un glissement de la notion de Moi à celle d'Ego sans dire pourquoi. Il serait trop long de donner les raisons précises. Disons que l'Ego serait la fine pointe, la peau, du Moi, lequel s'enracine dans les différentes strates de l'inconscient.

Bien entendu cette topique n'est absolument pas commune mais elle a l'avantage d'être opérationnelle et utile). Il existe en tout être une étonnante capacité à rebondir et à user du moindre ancrage de motivation pour reconstruire une personnalité. Mais cela ne se fait pas aussi simplement que le dit B. Cyrulnik.