Un sujet complexe
Vaste et complexe sujet que la pornographie ; tout et n’importe quoi se dit à son propos, il faut donc le traiter avec prudence. Arrêtons-nous donc un instant sur son aspect le plus visible : l’industrie du X mainstream et certaines de ses problématiques, dont le consentement.
Mais avant de creuser le sujet plus en détail, je rappellerai que l’absence de consentement, donc les violences sexuelles, se retrouvent dans toutes les sphères de la société et que le domaine de la pornographie n’est qu’un exemple parmi d’autres, ni plus, ni moins. Comme partout ailleurs, il est difficile de prouver qu’il y a eu ou non consentement dans une société qui apporte si peu de crédit à la parole (surtout quand elle vient de certaines catégories de la population, suivez mon regard), d’autant que la pornographie, bien qu’elle soit extrêmement répandue, concerne le thème très tabou de la sexualité. En outre, il y a peu de sources fiables concernant le sujet des violences dans les métiers du sexe, il est donc hasardeux de donner des chiffres.
On pourrait cependant penser que la question du consentement y est très prégnante ; mais on oublie une chose : les métiers du sexe sont... des métiers. Et comme dans tous les milieux professionnels, il y a des viols. Si on parle davantage aujourd’hui des dérives dans le milieu, notamment avec l’affaire de Jackie et Michel, on attend encore la médiatisation de #MeTooporno. Ce hashtag dans les sphères bien-pensantes de la société, ça pique. Faire du sexe, c’est bien ; mais en parler...et qu’on ne mentionne surtout pas la pornographie ! Sauf pour dire que Clara Morgane est « bonne », et / ou une « salope », au choix. N’oublions pas non plus que dans ce domaine, les personnes victimes de violences sexuelles, eh bien on ne les entend pas ! Pourquoi ? Parce que leur parole est invisibilisée et ceci à cause notamment des abolitionnistes de la pornographie, qui répandent de fausses statistiques et participent à véhiculer l’idée que ces personnes sont d’abord victimes de leur profession en elle-même. Qui voudrait utiliser son corps pour vivre ? Non, parlons sérieusement, il faudrait vraiment être acculé.e au bord d’une falaise pour en arriver là. Autre question (rhétorique) : qui a réellement envie de récurer des chiottes pour vivre ? Sans discriminer les personnes travaillant dans le domaine de l'entretien, j'imagine que ce n'est pas le job de leurs rêves. Et rappellons-le, il n’y a pas de sous-métier, mais des métiers, point. Le choix de sa profession est tout relatif.
Ainsi, la question du consentement dans les métiers du sexe n’est pas la priorité de la société, que ces personnes changent donc de profession et après on les prendra (peut-être) au sérieux.
Ceci posé, attaquons-nous au sujet du jour.
Un problème de diffusion
La pornographie en elle-même n’est pas un problème, ni les métiers qui y sont rattachés ; ce qui peut l’être, c’est la manière dont elle est utilisée et diffusée. Quand on parle de « porno » de nos jours, on fait majoritairement référence à une industrie qui génère des milliards de bénéfices dans le monde. C’est 219 985 de vidéos visionnées chaque minute (sur la chaîne Pornhub) et 45 millions de streaming chaque jour. C’est la multiplication de films amateurs mettant parfois en scène des personnes non consentantes (dont des enfants), et donc des viols. Ce porno mainstream, machiste et hétéronormatif véhicule stéréotypes et discriminations en tous genres et influence nos comportements sociaux, se faisant le miroir de nos sociétés. L’ex-actrice de films X, Ovidie, qui est aussi réalisatrice, productrice et écrivaine, explique dans son film documentaire « Pornocratie » que cette industrie c’est surtout Mindgeek, une multinationale composée de sociétés « opaques et adeptes de l’évasion fiscale », propriétaire des chaînes Pornhub, YouPorn et bien d’autres. Ce marché est alimenté par des films piratés, permettant un visionnage illimité et gratuit par tous.tes (dont les enfants). Conséquences : les maisons de production ont progressivement coulé et les conditions de travail sont de plus en plus difficiles, spécifiquement pour les actrices, qui sont notamment obligées d’accepter des pratiques toujours plus hardcores dans des conditions sanitaires de pire en pire. Là encore, je précise que dans la société tout entière, des personnes sont amenées à accepter des actes qui posent la question du consentement. Un patron qui demande des services sexuels à son employée qui, elle, ne veut pas perdre son poste, un cinéaste qui entre dans les loges de ses actrices et joue avec leur volonté de réussir dans le métier, un entraîneur qui dit au petit garçon que les caresses qu’il lui impose font partie du sport, une travailleuse du sexe (TDS) qui signe un contrat mais à qui on en demande beaucoup plus une fois la caméra allumée, etc.
Quand l’industrie du porno profite d’une absence de règlementation
Cependant, il n’existe aucune définition juridique de la pornographie et donc pas de vraie réglementation ; le cinéma hard mainstream génère pourtant des violences en tout genre qui elles, sont punies par les lois internationales : torture, viol, abus de vulnérabilité, proxénétisme, traite des êtres humains, incitation à la haine sexiste et raciste, injure sexiste, lesbophobe et raciste, pédocriminalité…Une enquête du New York Times du 4 décembre 2020 montre que Pornhub est rempli de vidéos de viols (dont des enfants), de femmes torturées, inconscientes. Une tribune parue dans le journal Le Monde le 21 décembre 2020 décrit les méthodes sophistiquées de l’industrie pornographique comme étant identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains : rabattage, mise en confiance, soumission par le viol, exploitation, mise sous terreur, inversion de la culpabilité.
Un avatâr du patriarcat
Outre ces violences, l’industrie pornographie patriarcale participe, tout comme le cinéma classique, à la dévalorisation des femmes, les présentant comme des objets soumis au désir des hommes. Ce qui est d’ailleurs le propre de ce type de porno aux scénarios « phallocentrés » : tout tourne autour de la sexualité masculine, comme l’explique la réalisatrice de films pornographiques féministe Olympe de G. La sexualité des femmes y est quasi inexistante, détournée de la réalité, leur consentement ignoré. Ainsi, selon la tribune parue dans Le Monde, la pornographie s’appuierait sur le « mythe archaïque et misogyne d’une femme objet sexuel qui serait avide d’auto-dégradation » et véhiculerait celui-ci; les violences envers les femmes et les filles s’en retrouvent légitimées. Toujours selon cette tribune, ce type de pornographie « répond à l’idéologie patriarcale selon laquelle les hommes devraient dominer les femmes dans la société. Fessées, fouets, viols correctifs…elle nous raconte une histoire selon laquelle les femmes doivent rester à leur place, soumises au pouvoir des hommes, une histoire qui fait l’apologie de l’oppression des femmes ».
Parlons des enfants
L’industrie mainstream du X est donc, comme dans bien d’autres domaines de la société, un lieu d’absence de consentement, et des millions de personnes, dont des enfants, s’éduquent avec l’idée que les femmes doivent se soumettre aux hommes (et qu’elles aiment ça !). Parlons-en des enfants : si auparavant ces derniers découvraient la pornographie grâce à des cassettes vidéos et des revues traînant ici ou là, les images s’imposent maintenant sur leurs écrans (publicités, sites de streaming) ou sont regardables en un clic, sans effort, n’importe où et sans contrôle d’âge. La question du consentement est de fait centrale. Selon Anne de Labouret et Christophe Butstraen, auteur.rice.s du livre « Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse ! », l’âge moyen d’accès aux premières images pornographiques serait de 9 ans ; et à 11 ans, presque tous les enfants en auraient déjà vu. Entre 14 et 24 ans, un jeune sur cinq regarde du porno toutes les semaines. Comment cela est-il possible ? N’y a-t-il pas de lois qui protègent les mineur.es ? Certes, la réglementation française interdit la diffusion d’images pornographiques à des mineur.es ; mais les sites internet ne filtrent pas efficacement l’accès selon l’âge. De plus, selon Ovidie, les politicien.es ont peur de passer pour liberticides et les personnes capables de légiférer l’accès au porno « ne comprennent rien à Internet, et surtout, ne comprennent rien au porno. Il y a très peu d'experts et de consultants en questions pornographiques. Personne ne prend le sujet au sérieux. »
Une pornographie clitocentrée
À l’opposé du porno mainstream, la pornographie féministe est davantage « clitocentrée » nous dit Olympe de G., car elle place souvent le plaisir féminin et le consentement au cœur de ses productions, donnant la part belle à la diversité, représentant tous les types de corps, de beautés, d’orientations sexuelles, d’âges (hors enfants pour le coup !). Ce type de films montre non plus une, mais des sexualités, plus proches de la réalité et sans simulations, contrairement au X mainstream qui recourt régulièrement à des astuces dans une idéologie de performance sexuelle. Cependant, attention aux généralités : selon mes sources personnelles, la totalité des productions de films féministes ne suivent pas cette ligne de route ; on ne peut que constater un certain angle de vue, plus récurrent que dans le porno mainstream.
Conclusion
L’impact de la pornographie mainstream n’est pas limité aux personnes qui peuvent subir des violences sur les tournages mais s’impose à l’ensemble de la société.
Ce qui doit changer n’est pas la pornographie en elle-même, mais la façon dont elle est utilisée : aux mains d’une multinationale sans éthique, les ravages qu’elle cause impacte toutes les strates de la société. En outre, nous devons changer notre rapport à la sexualité : troquer le tabou par une éducation sexuelle égalitaire, où le désir des un.e.s n’empiète pas sur celui des autres. Combler le vide autour de ce sujet et redonner le rôle de fantasme que devrait revêtir la pornographie.
À cause du tabou que représente la sexualité et de ce fait l’absence de mise en mots, les images pornographiques issues du cinéma hard mainstream présentes sur Internet deviennent un outil d’éducation sexuelle pour les enfants, ce qui impacte notamment leur vie sexuelle future. Dès lors, iels s’habitueront aux discriminations, notamment à l’idéologie selon laquelle les femmes doivent se soumettre au désir des hommes, et par là, que le consentement est accessoire.
Sources
- Anne de Labouret, Christophe Butstraen, « Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse. »
- Nadia El Bouga, sexologue et sage-femme.
- La grande Horizontale, « La victime était presque parfaite. Ou comment comprendre l'instrumentalisation des traumatismes, réels ou supposés, des travailleur·se·s du sexe et autres personnes minorisées. »
- Olympe de G, réalisatrice de films pornographiques féministes.
- Ovidie, réalisatrice, écrivaine et productrice.