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La Ciivise « remerciée » pour son efficacité ? A quand une réelle protection des enfants ?

créé par Manon Kaddour-Lantheaume - Dernière modification le 24/01/2024


Le 11 décembre 2023, les membres de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) apprennent, par un communiqué de presse, que le juge Édouard Durand n’est pas reconduit dans ses fonctions de co-président, malgré un engagement total de longue date en faveur de la protection de l’Enfance.


Par cette méthode bien cavalière, le gouvernement fait filtrer la nomination d’un nouveau tandem à la tête de la CIIVISE : Sébastien Boueilh et Caroline Rey-Salmon. Duo qui affiche d’emblée son désaccord vis-à-vis de certaines préconisations phares du rapport final tout juste émis par la commission.


Ironie du sort, le 20 décembre, Jack Lang est reconduit pour un 4ème mandat à la tête de l'Institut du monde arabe, alors qu’il est l’un des signataires, en 1977, d’une tribune appelant à la dépénalisation des crimes sexuels sur les mineur·es.


Le rapport entre ces deux hommes ? Aucun. Tout les oppose !


L’un est sanctuarisé et adoubé par le gouvernement malgré son appel en 1977, aux côtés de l’écrivain Gabriel Matzneff et de l’homme politique Daniel Cohn-Bendit, à décriminaliser “l'amour” possible d’un adulte avec des enfants, soutenus par une partie de l’intelligentsia française de gauche de l’époque. Tandis que le juge Durand, au sein de la CIIVISE, comme depuis le début de sa carrière, se bat au contraire, à hauteur de victimes, pour que les enfants soient écouté·es et protégé·es. Pourtant, il vient d’être limogé pour s’être dressé, aux côtés de la co-présidente Nathalie Mathieu et de son comité d’expert·es, contre la culture du viol et de la pédocriminalité avec 82 mesures emblématiques. Parmi celles-ci :

 

  • Mettre au centre de toute procédure la parole de l’enfant.
  • Réclamer l’immunité des médecins et du parent protecteur, qui dénoncent des violences.
  • Exiger que soit votée l'imprescriptibilité des crimes sexuels pour les enfants et les adolescent·es.

Ces dernières semaines, l’avenir de la CIIVISE, créée en réponse à la sortie du livre de Camille Kouchner La familia grande et au mouvement #MeTooInceste, a fait l’objet d’une médiatisation sans précédent.


Partout les mêmes questions : qu’allait devenir cette commission, créée en 2021 par le gouvernement, pour s’attaquer à ce fléau massif subi par 1 enfant sur 5, d’après le conseil de l’Europe, c’est à dire 20% de la population française, soit environ 13 millions de citoyen·nes ? Qu’allaient devenir les 82 préconisations émises par la CIIVISE, cœur battant d’une véritable doctrine pour prévenir les violences sexuelles faites aux enfants et neutraliser les agresseurs ? Qu’allaient devenir l’aide et le suivi des 30 000 victimes ayant confié leur témoignage à la CIIVISE ?


Et enfin quel serait le destin de son co-président si engagé, le juge Edouard Durand, qui s'était proposé candidat à sa succession ?


Le 11 décembre 2023, la secrétaire d’Etat à l’Enfance, Charlotte Caubel, a choisi d’évincer le juge Edouard Durand…


Si la culture pro-“ pédophile ” appartient à une époque révolue en France, peut-on nous expliquer pourquoi avoir renvoyé au vestiaire, par voie de presse, une équipe plébiscitée par les victimes et les associations dédiées ?


Edouard Durand, une volonté de bien faire qui dérange ?
La presse l’a souligné, les professionnel·les du secteur sont unanimes : l’indépendance d’Edouard Durand, sa compétence, son intégrité, sa critique du fonctionnement de la Justice, son empathie véritable pour les victimes sont incontestables. Et elles sont devenues un véritable caillou dans la chaussure du gouvernement.


En vue d'un hypothétique second mandat, il s’apprêtait avec son équipe, à assurer le suivi de chacune de ses préconisations. Il se serait battu pied à pied pour monter un plan solide, méthodique, pour dépister dès les plus jeunes années les violences sexuelles et verrouiller chaque maillon de la prise en charge. La doctrine élaborée par cette commission, jusqu’au 10 décembre dernier, aurait entraîné une véritable révolution dans la conception et le traitement de ce fléau, et se serait attaquée frontalement au système d’impunité des agresseurs.


Elle nécessite des moyens, et une véritable volonté et implication politiques.


Le juge Durand semble être l’incarnation idéale pour continuer à porter le sujet lors du mandat suivant, aussi bien dans le pilotage des dossiers, qu’auprès des victimes, jusqu’ici quasi ignorées, dont il a gagné la confiance.


Mais il devient aussi l’homme à écarter d’urgence pour un gouvernement qui ne voudrait pas mener ce combat, pour un ministère de la Justice qui ne souhaiterait pas résoudre ses graves dysfonctionnements en matière de protection des enfants, de condamnation des agresseurs dont la culpabilité est pourtant avérée. Et qui échoue à reconnaître le traumatisme des victimes.


« Circulez, il n’y a rien à voir, ni à changer, Monsieur Durand »


La CIIVISE ignorée, méprisée
Pour preuve de ce mépris, et de ce souhait de saborder la CIIVISE ? Comme confirmé par plusieurs membres : Charlotte Caubel communiquait très peu avec la commission, n’assistait pas à ses réunions, ne répondait pas à ses appels, et n’accusait pas réception de leurs documents.


Encore plus choquant : début octobre 2023, cinq membres de la CIIVISE - dont les co-président·es, Edouard Durand et Nathalie Mathieu - ont été convoqués par l’Inspection générale de la justice (IGJ) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui ont tenté de les prendre en défaut.


La secrétaire d’État a gardé le silence sur l’avenir de la CIIVISE, mais la rumeur circulait entre les cabinets ministériels et les médias : la commission allait être supprimée.


A la faveur d’une mobilisation médiatique d’ampleur, le gouvernement s’est vu obligé de maintenir cette Commission. Mais, dans le plus grand secret, Charlotte Caubel a démarché d’autres acteurs, y compris au sein même de la CIIVISE, pour débarquer le juge Durand. Lequel a appris son éviction par le communiqué de presse de son successeur !


Une nouvelle présidence qui inquiète
Passons sur la méthode indigne…
La secrétaire d’État n’a pas choisi par hasard son nouveau président, qu’elle a fièrement escorté, telle un chaperon, dès les premières interviews : Sébastien Boueilh. Ancien rugbyman, victime et directeur général de l'association « Le colosse aux pieds d'argile », Sébastien Boueilh fait l’éloge de la résilience à tous crins, concept qui fait bondir de nombreuses victimes. De plus, il ne se cache pas de ne pas être favorable à l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur·es. Il mise sur les associations ; la bonne aubaine pour un ministère délégué qui souhaiterait désengager l’Etat de la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. Et quid du fait que son association, au chiffre d'affaires de 2,5 millions d’euros, soit pour moitié financée par l'Etat ? Quelle sera son indépendance face à son principal financeur ?


Et il est également surprenant de noter que la réalisatrice, Stéphanie Murat, du téléfilm Le colosse aux pieds d’argile, adaptation du livre autobiographique de Sébastien Boueilh, est une des 56 signataires de la tribune en soutien à Gérard Depardieu et donc, de fait, ne se range pas du côté des nombreuses victimes présumées... 


Sébastien Boueilh s’est-il désolidarisé de la réalisatrice, qui a mis en image son autobiographie, et qui soutient une célébrité qui sexualise devant la caméra une fillette de 11 ans ?


La vice-présidente (d’ailleurs pourquoi le nouveau binôme n’est-il pas comme le précédent à égalité en étant co-président·e ?), Caroline Rey-Salmon n’a également pas été retenue par hasard. Médecin légiste et experte judiciaire, elle avait démissionné de la CIIVISE car elle refusait le signalement obligatoire des violences sexuelles sur les mineur·es par les médecins. Elle n’a pas hésité, dès sa nomination, à citer le procès d’Outreau comme exemple de la parole potentiellement défaillante des enfants victimes... Voilà qui diffère grandement du « Je te crois, je te protège » que la première équipe de la CIIVISE s’est appliquée à défendre.


Ces deux personnes à la tête de la CIIVISE sont tout indiquées pour réfuter le patient travail mis en oeuvre par leurs prédécesseur·euses, et affaiblir la lutte contre l’inceste et les violences sexuelles.


Nous ne pouvons nous résoudre à ce cynisme.


La secrétaire d’État, Charlotte Caubel, a dû faire face aux questions de la presse interloquée. Elle n’a pas lésiné sur les mensonges : prétendre qu’elle avait contacté tous les membres de la CIIVISE, ce qu’ils-elles ont immédiatement démenti, réduire le juge Durand au porte-parole de l’inceste, alors que sa mission était exhaustive, faire croire que 9 membres avaient « claqué la porte » de la CIIVISE...


En signe de protestation, 12 membres de la « Commission Inceste » dont Muriel Salmona, Eva Thomas, Arnaud Gallais, Angélique Mouly, ont démissionné.


Ces nominations ne trompent personne, et une mobilisation d’ampleur sur les réseaux sociaux est à l’œuvre, chez les associatifs, les militant·es, les professionnel·les, les citoyen·nes, les personnalités…


Nous réclamons au gouvernement la reconduction immédiate du juge Edouard Durand, et de ses membres démissionnaires au sein de la CIIVISE, car nous (re)connaissons leurs méthodes, leur engagement, leur expertise et leur pertinence.


Pourquoi changer une équipe qui fonctionne !?
Saluons l’excellente initiative du gouvernement d’avoir créé cette commission, et quitte à en commander un rapport, qu’il en garde la lettre et l’esprit.


Et surtout que cessent les manœuvres et manigances pour congédier celles et ceux qui font “trop bien” leur travail.


La réponse du gouvernement doit être à la hauteur de la libération de paroles en France et aux 30 000 témoignages livrés en confiance à cette institution.


Monsieur Emmanuel Macron, vous nous aviez promis que nous ne serions plus jamais seul·es, que vous nous croyiez ? Prouvez-le !


Monsieur Macron, à l'heure du remaniement, vous pouvez faire un choix décisif : imposer des personnes engagées pour l'enfance à des postes clés !


Pas de CIIVISE sans Durand !


Tribune rédigée par Sophia Antoine, artiste et activiste féministe, Anne Lucie Viscardi, artiste et art-thérapeute, créatrice du blog « La Génération qui Parle » et le compte Instagram @Soutienciivise. 


Parmi les signataires : Clotilde Hesme (actrice), Anna Mouglalis (actrice), Alexandra Lamy (actrice), Zita Hanrot (actrice), Judith Chemla (actrice), Anouk Grinberg (actrice), Alix Poisson (actrice), Vahina Giocante (actrice), Corinne Masiero (actrice), Tristan Lopin (humoriste), Eva Darlan (actrice engagée), Lio (chanteuse) , Cyane Dassonneville (formatrice sur les transidentités), Stéphanie Gâteau (présidente d’Handiroad), Guillaume Mélanie (co-président de Urgence Homophobie), Myriam Benayoun (avocate de Priscilla Majani), Giulia Foïs ( journaliste, animatrice), Hélène Devynck (journaliste), Mona Jafarian (presidente de Femme Azadi), Bouchait Sandrine (présidente de UNFF ), Sandra Nkaké (chanteuse), Cyril Dion (réalisateur, auteur et écologiste), Adélaide Bon (autrice), Élise Thiébaut (autrice), Sarah Boukraa (conseillère funéraire). Découvrir les autres signataires : Signataires de la Tribune Soutien Ciivise - Google Sheets 

Pour signer cette tribune, cliquez : Collectif Soutien de la Ciivise avec Edouard Durand (google.com) 
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