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La CEDH contre la justice française

créé par Manon Kaddour-Lantheaume - Dernière modification le 12/03/2024



La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été réquisitionné pour condamner la France dans huit affaires de viols pour mauvais traitement de justice Française envers les victimes, chose inédite. Selon la CEDH c’est « volume significatif »

Dans le cas de ces enquêtes, la justice française a prononcé une relaxe, un acquittement ou encore un non-lieu. 


Chiffres clés :


Pour rappel, d’après l’Insee, en 2020, les viols ou tentatives de viols ont été condamnés à 0,6% des cas et 10%  des plaintes ont réussi à obtenir une condamnation de l’accusé. Seulement 9% des victimes de viol portent plainte, sachant que plus de la moitié sont classées sans suite avec pour seul témoignage celui de la victime. Ces classements sans suite sont souvent prononcés pour « infraction insuffisamment caractérisée ».


La CEDH et la France : 


En janvier dernier, la France a déjà été condamnée par la CEDH pour une affaire où une femme dénonçait son supérieur sur ses agissements sexuels, la France avait donné raison au supérieur et la CEDH a donné tort à la France.
« La faiblesse du taux [de condamnations] s’explique en grande partie par des défaillances dans le recueil et la préservation des preuves conduisant à ce que de nombreuses plaintes soient classées sans suite […] dans les cas de viols sans recours à la force, les viols conjugaux, viols sur des personnes handicapées ou viols incestueux paternels ».
Pour la CEDH concernant les affaires de viols en France « Ces quelques affaires vont permettre de saisir d’un seul coup l’ensemble des problématiques et des failles qu’on a identifié dans le droit français sur ces enjeux. »
Les femmes ayant déposé cette requête à la CEDH plaident la « victimisation secondaire » , cette notion relève du mauvais traitement qu’elles ont subi face à la justice française.


Les doubles victimes : 


On a l’affaire d’Emily Spanton, appelé l’affaire « du 36 quai des Orfèvres » qui incriminait deux policiers de viol, l’investigation de cette affaires c’est principalement porté sur le contexte (état d’ivresse) et l’environnement (sur sa vie) de la victime.


Dans les huit affaires, trois d’entre elles concernent des mineures au moment des faits. Pour exemple, nous avons l’affaire Julie, mettant en cause deux pompiers pour viol en réunion et un autre pompier pour agression sexuelle, alors qu’elle n’avait que 14ans. Le tribunal avait donné son jugement en qualifiant les faits « d’atteinte sexuelle sur mineure », ce qui est considéré comme un délit et non un crime. Ce jugement a été prononcé car la justice a considéré Julie comme consentante et avec un comportement « entreprenant et provocateur » ne laissant pas croire aux pompiers qu’elle n’était pas consentante. Comment pouvait-elle être consentante à l’âge de 14 ans ? Dans son cas, Julie souhaiterait voir la France condamnée pour « l’absence d’évaluation objective par les juges de son consentement libre au regard de son âge et de sa vulnérabilité » et « les formulations sexistes et discriminatoires dont auraient usé les juridictions internes dans leurs décisions ».


Pourquoi la justice pénale pour les affaires de viol est aussi délétère en France ? 


Selon Magali Lafourcade, le viol n’est pas traité comme les autres crimes. « On dit souvent que pour les affaires de viol, c’est parole contre parole, mais c’est totalement faux. Un assassin n’avouera jamais avoir tué, c’est l’enquête qui le dira ». D’après la magistrate, la justice pénale devrait avoir autant de rigueur dans les affaires d’homicide que celles des viols, en se centrant sur l’environnement de l’accusé et les circonstances de l’acte et dans les deux cas, pas centrer sur la victime. « On ne devient pas violeur du jour au lendemain, c’est un long chemin d’impunité ».


Le point commun avec ces huit affaires, c’est l’emprise. La loi ne permet pas de reconnaître l’emprise dans les cas de viols. Le seul élément sur lequel peuvent se défendre les plaignantes est la notion de contrainte, mais elle reste difficile à objectiver. En effet, qu’en est-il de l’état de sidération ?

« Le consentement, malgré le fait qu’il n’apparaît pas dans la loi, est une arme de défense des agresseurs ». Marjolaine Vignola, avocate.


La définition du viol aux yeux de la loi renforce les violences institutionnels car il est demandé aux victimes de « prouver » l’un des quatre éléments « ce qu’elle a fait pour manifester qu’elle n’était pas d’accord ». L’examen du consentement devrait s’inscrire dans le contexte des faits, c'est-à-dire, l’état d’ébriété de la victime, le lieu du crime sexuel, la position sociale de l’agresseur sur sa victime. Ceci devrait renforcer les éléments négatifs contre l’accusé, mais se retourne majoritairement contre la victime.


Ce qui est fortement critiquer dans ce système pénale, c’est qu’on va venir chercher la crédibilité de la victime, en se centrant principalement sur elle, hors, il serait plus judicieux de mettre les agresseurs au centre du jugement, avec l’aide d’une nouvelle définition du viol avec les circonstances du consentement (qui aurait pu être le cas, mais pour rappel la France a refusé cela ce 6 février pour la directive européen sur une nouvelle définition du viol). Pour Magali Lafourcade, « non seulement la loi telle qu’elle est rédigée aujourd’hui ne permet pas de lutter contre l’impunité, mais elle fait vivre un parcours pénal douloureux dans la pratique qui dissuade les victimes de porter plainte et donc renforce l’impunité ».


Sur ce point, le ministère de la justice considère que l’emprise et l’état de sidération sont pris en compte dans les notions de contrainte et de menace dans la définition. Sur les huit affaires de la CEDH, le ministère n’a pas souhaité faire de commentaires.


Les premiers jugements de la CEDH arriveront d’ici la fin de l’année 2024.
 

Source : 

Mediapart, article de Zeina Kovacs publié le 03/03/2024