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Journal de Bord : L’Arme Invisible des Victimes pour Guérir et Obtenir Justice

Comment l’écriture aide les victimes à se reconstruire et à obtenir justice.

créé par Marie Carolle Marcelin - Dernière modification le 11/11/2024


Le journal de bord, souvent perçu comme un simple espace d’écriture personnelle, se révèle être un dispositif d'une importance majeure dans le parcours des victimes de violences, de harcèlement ou de traumatismes divers. En tant qu'outil thérapeutique, il contribue à la gestion des émotions et au processus de résilience en facilitant la verbalisation et la structuration des expériences traumatiques. Sur le plan juridique, il devient une pièce maîtresse dans la constitution de preuves et l’appui des démarches judiciaires. À la croisée des sciences psychologiques et juridiques, le journal de bord apparaît donc comme un vecteur essentiel de guérison et de justice, jouant un rôle fondamental dans la réhabilitation émotionnelle des victimes et leur quête de reconnaissance légale.

1. Le journal de bord : un instrument psychologique de régulation émotionnelle et de reconstruction

a) La catharsis écrite : libérer les émotions refoulées

En psychologie, le concept de catharsis désigne la libération des émotions refoulées, souvent enfouies dans l’inconscient suite à un choc traumatique. Pour les victimes de violences ou de harcèlement, l’écriture d’un journal de bord devient un moyen privilégié pour exprimer des sentiments difficiles à verbaliser dans d’autres contextes. À travers le processus d’écriture, les victimes peuvent externaliser des émotions d’une intensité parfois paralysante, telles que la peur, la colère, la honte ou la tristesse.

Le phénomène de catharsis écrite permet non seulement de canaliser ces émotions, mais aussi de favoriser une élaboration psychique. En d’autres termes, l’écriture aide la victime à donner du sens à des événements qui paraissent initialement chaotiques ou déstructurés, facilitant ainsi une prise de distance cognitive et émotionnelle. Cela contribue à un processus appelé "résolution du traumatisme", un objectif central des thérapies basées sur le trauma, comme la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing).

b) La réintégration de la mémoire traumatique et la lutte contre la dissociation

L’un des symptômes psychologiques les plus communs chez les victimes de traumatismes est le phénomène de dissociation, qui se manifeste par une altération de la conscience, de la mémoire et de l’identité. En psychologie clinique, la dissociation est souvent une réponse de l’esprit face à des expériences intenses, où la personne peut se sentir déconnectée de la réalité ou de son propre corps (dépersonnalisation) et de l’environnement (déréalisation).

Le journal de bord joue un rôle clé dans la réintégration de la mémoire traumatique. En consignant régulièrement leurs pensées, émotions et événements, les victimes renforcent leur connexion au réel et à leur propre expérience. Cette pratique permet de lutter contre la fragmentation de la mémoire caractéristique des états dissociatifs. Le processus de reconstruction narrative permet également de reconstituer la chronologie des événements traumatiques, une démarche essentielle dans l’élaboration de la mémoire traumatique qui, autrement, reste floue et morcelée.

Dans ce contexte, l’écriture quotidienne ou régulière agit comme un mécanisme de reconnexion à soi et à ses émotions, permettant ainsi à la victime de progressivement sortir d’un état dissociatif pour retrouver une forme de continuité temporelle et émotionnelle.

c) Le journal de bord comme vecteur de résilience et d'empowerment

La résilience, terme popularisé par Boris Cyrulnik, désigne la capacité à surmonter les épreuves et à se reconstruire après un traumatisme. Le journal de bord favorise ce processus en offrant à la victime un espace où elle peut non seulement exprimer ses émotions, mais aussi mesurer ses progrès. En relisant ses propres écrits, la victime peut observer son cheminement psychologique, la manière dont elle surmonte progressivement les obstacles, ce qui constitue un renforcement positif de son estime de soi et de son sentiment de contrôle sur sa propre vie.

Le journal de bord devient ainsi un outil d’empowerment, redonnant à la victime le pouvoir sur son récit de vie. Dans les premiers stades du traumatisme, les victimes peuvent se sentir dépossédées de leur autonomie et de leur identité, souvent envahies par un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). En écrivant, elles redeviennent actrices de leur histoire, reformulant les événements selon leurs propres termes, et en créant une narration cohérente où elles se réapproprient leur trajectoire.

2. Le journal de bord dans le cadre judiciaire : une pièce maîtresse dans la constitution des preuves

a) La documentation chronologique des faits : établir une preuve solide

D’un point de vue juridique, le journal de bord n'est pas uniquement un outil thérapeutique, mais également un document crucial pour la constitution de preuves dans le cadre d'une plainte pour harcèlement, violences ou abus. En droit, les témoignages écrits de la victime, s'ils sont tenus de manière régulière et détaillée, peuvent être utilisés pour appuyer des accusations ou pour démontrer la répétition et la persistance des comportements abusifs. Cette documentation devient particulièrement importante dans des affaires de violences conjugales, de harcèlement moral, ou encore d'abus psychologiques, où il est souvent difficile de fournir des preuves directes.

Le journal de bord permet à la victime de consigner des éléments factuels : dates, lieux, détails des comportements ou des événements, ainsi que les impacts psychologiques et physiques. En associant ces écrits à des éléments matériels (captures d’écran de messages, photos, vidéos), la victime renforce son dossier judiciaire. Les avocats spécialisés dans la défense des victimes recommandent souvent ce type de journalisation, car elle permet de présenter un récit cohérent et organisé devant les tribunaux, ce qui est souvent un élément déterminant dans l'appréciation des juges.

b) L'usage du journal de bord comme preuve indirecte et expertises judiciaires

Dans certains systèmes juridiques, les écrits d’un journal de bord peuvent être qualifiés de "preuve indirecte". Bien que ces éléments ne constituent pas, à eux seuls, une preuve irréfutable, ils peuvent être utilisés en complément de témoignages oraux, de certificats médicaux ou d’autres éléments de preuve matérielle. Dans des cas complexes, le journal peut être transmis à un psychologue légiste ou un expert judiciaire pour évaluer l'authenticité du récit et l'impact psychologique des événements sur la victime.

L'analyse psychologique des journaux de bord permet également de mieux comprendre l’ampleur du traumatisme subi et d’évaluer les dommages psychologiques à long terme, informations essentielles lors de procès civils pour obtenir réparation ou lors de mesures de protection telles que des ordonnances restrictives.

3. L'essor des journaux de bord numériques : une évolution dans l'accompagnement des victimes

a) Sécurité et anonymat : journaux de bord numériques pour une protection optimale

Avec l’évolution des technologies et la digitalisation des services d'accompagnement aux victimes, plusieurs plateformes en ligne proposent aujourd’hui des journaux de bord numériques sécurisés. Ces outils permettent aux victimes de consigner leurs expériences de manière confidentielle, tout en bénéficiant d’une protection accrue contre les représailles potentielles de leur agresseur. Par exemple, des plateformes comme StopViolence.fr ou eJournaling.org offrent des espaces sécurisés et cryptés où les victimes peuvent enregistrer des preuves numériques telles que des messages, des vidéos ou des photos, et y associer leurs écrits quotidiens.

Cette approche numérique présente l’avantage d'une sécurisation des données, avec des mécanismes de sauvegarde qui permettent d’éviter la perte ou la destruction des preuves. En outre, ces plateformes garantissent un anonymat total aux victimes, un facteur essentiel pour celles qui sont encore sous la menace de leurs agresseurs.

b) Accompagnement thérapeutique et juridique intégré

En plus d’assurer la sécurité, certaines plateformes proposent un suivi thérapeutique et juridique intégré. Par exemple, des professionnels en psychologie clinique et des avocats spécialisés en droit des victimes sont à disposition pour accompagner les utilisateurs dans l’interprétation de leurs écrits ou pour leur donner des conseils juridiques. Les psychologues peuvent également analyser les journaux dans le cadre de consultations en ligne, favorisant un suivi psychologique adapté aux besoins individuels.

Conclusion

Le journal de bord, qu’il soit tenu sous forme papier ou numérique, s’affirme comme un outil fondamental dans la vie des victimes de traumatismes. Il agit à la fois comme un espace d’expression émotionnelle, favorisant la catharsis et la reconstruction psychologique, et comme un instrument juridique puissant, permettant de constituer des preuves essentielles pour des démarches judiciaires. Sa place dans le processus de résilience et de guérison ne peut être sous-estimée, tout comme son rôle dans la recherche de justice et de reconnaissance.

Aujourd'hui, avec les progrès technologiques, les journaux de bord numériques apportent une nouvelle dimension à cet outil, offrant aux victimes des solutions sécurisées et accompagnées par des professionnels pour les aider à reconstruire leur vie et à défendre leurs droits.

Sources 

  • Bessel van der Kolk, Le corps n'oublie rien (2014)
  • Judith Lewis Herman, Trauma and Recovery (1992)
  • Domestic Violence and Evidence (Legal Match)
  • eJournaling: An Online Resource for Victims of Trauma
  • StopViolence.fr StopViolence.fr