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Comprendre l’approche féministe

Principes et enjeux

créé par Louane Barbot - Dernière modification le 05/11/2025


« Ah, tu es féministe ? ». Voilà la réaction que l’on entend souvent dès que l’on se revendique comme tel·le. Pourtant, si l’on en discute un peu, la plupart des gens adhèrent spontanément aux valeurs du féminisme, souvent sans même s’en rendre compte. Dans cet article, nous chercherons à définir les fondements de l’approche féministe et à comprendre pourquoi, loin d’être une position radicale, elle devrait s’imposer comme une évidence.

Le féminisme, c’est quoi au juste ?

Le dictionnaire Larousse le définit comme un “courant de pensée et mouvement politique, social et culturel en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.” Cette définition, simple et factuelle, ne devrait heurter personne : elle affirme un principe universel, celui de l’égalité. L’égalité dérange parce qu’elle ébranle un système qui profite à certains, et ce dérangement est exactement ce qui fait peur aux détenteurs du pouvoir. Ceux qui continuent d’y voir une idéologie extrême ou une attaque contre les hommes confondent égalité et privilège.

L’histoire du féminisme, en bref.

L’histoire du féminisme s’est structurée en plusieurs vagues, chacune marquée par des avancées majeures : à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle,

 – la première vague revendique les droits civiques et politiques, notamment le droit de vote ; entre les années 1960 et 1980,

– la deuxième vague conquiert les droits sexuels et reproductifs et dénonce le patriarcat comme système d’oppression ;

– enfin, à partir des années 1990, la troisième vague introduit l’intersectionnalité et la reconnaissance de la diversité des expériences féminines.

Aujourd’hui, le féminisme s’affirme comme un mouvement mondial et décolonial, qui lutte contre toutes les formes de domination :  patriarcale, raciale, économique ou environnementale, pour construire une égalité réelle, globale et durable. Pour en savoir plus sur l’histoire du féminisme, consultez l’article dédié.

“L’égalité homme-femme est déjà acquise.” Vraiment ?

Certains aiment le répéter, comme si les femmes vivaient déjà sur un pied d’égalité avec les hommes. Il serait dommage de les laisser croire qu’ils ont raison : parlons chiffres.

Selon ONU Femmes (2023), aucune région du monde n’a encore atteint l’égalité réelle. Les femmes gagnent en moyenne 23 % de moins que leurs homologues masculins, accomplissent trois fois plus de travail domestique non rémunéré et représentent près de 70 % des victimes de violences sexuelles. L’écart salarial n’est qu’une facette des inégalités : les violences et la sous-représentation dans les postes décisionnels restent tout aussi préoccupantes.

En France, comme ailleurs, cette réalité se confirme. La très grande majorité des victimes de violences sexuelles sont des femmes, tandis que plus de 90 % des auteurs sont des hommes. À ceux qui, à ça, n’ont qu’à répondre : « Les hommes aussi se font violer », au-delà de la manie agaçante de tout ramener à eux quand ils ne sont pas les victimes principales, nous avons quelques pistes de réflexion à leur apporter. Oui, les violences sexuelles envers les hommes existent et elles sont tout aussi graves. Mais là encore, les agresseurs sont majoritairement des hommes. Selon l’INED (Wicky, 2025), la violence sexuelle envers les hommes est environ quatre fois moins fréquente que celle envers les femmes, et dans 83 % des cas, l’auteur est un homme. Aux États-Unis, le Center for Disease Control and Prevention rapporte que 87 % des victimes masculines déclarent leur auteur de violence masculin.

Les violences conjugales suivent la même logique : en 2012, dans 65 % des homicides commis par une femme sur son conjoint, la victime avait elle-même été auteur de violences (Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Repères statistiques). En 2017, 90 % des personnes ayant reçu des menaces de mort de leur conjoint et 86 % des victimes de meurtre conjugal étaient des femmes (Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes).

Ces chiffres ne visent pas à minimiser les violences envers les hommes, mais à montrer une réalité structurelle : l’égalité n’est pas acquise, et la violence sexuelle et conjugale est un phénomène genré, enraciné dans des rapports de pouvoir et de domination. Il ne s’agit pas d’individus isolés, mais d’un système de socialisation masculine qui valorise la domination, la prise de pouvoir et le contrôle, autant de comportements que le féminisme cherche à déconstruire. Comme l’écrit Pauline Harmange dans Moi les hommes, je les déteste (2020) :

« Tous les hommes ne sont peut-être pas des violeurs, mais quasiment tous les violeurs sont des hommes — et quasiment toutes les femmes ont subi ou subiront des violences de la part des hommes. »

“Le féminisme dessert la cause des femmes”... Ah oui ?

Il est fréquent que, lorsqu’une majorité de personnes ne se sent pas concernée par une cause, ou qu’elle bénéficie des privilèges qu’elle remet en question, les mouvements qui revendiquent plus de droits paraissent menaçants. Le féminisme n’échappe pas à cette règle : il remet en question un ordre établi, et donc il fait peur.

Cette peur du changement n’est pas surprenante, c’est une réaction psychologique classique. Quand un système remet en cause nos repères, notre premier réflexe est souvent de le rejeter. Des concepts comme la dissonance cognitive (Festinger, 1957) expliquent pourquoi : quand une idée ou un mouvement remet en question notre vision du monde ou nos privilèges, cela crée un inconfort. Pour réduire cette tension, nous avons tendance à minimiser, rejeter ou contredire l’idée nouvelle. De même, les théories de la menace du statut (Sidanius & Pratto, 1999 ; Social Dominance Theory) montrent que les groupes dominants résistent souvent aux changements perçus comme menaçants pour leur position dans la hiérarchie sociale.

Cependant, ceux qui assument que le féminisme dessert la cause des femmes se fourvoient. Ce qui la dessert, c’est bien plutôt cette habitude présomptueuse de certains hommes à contester systématiquement chaque argument avancé par les femmes. C’est bien connu : eux savent mieux.

L’histoire regorge d’exemples qui nous rappellent à quel point le féminisme est moteur de transformation sociale. Emily Wilding Davison, militante de la Women's Social and Political Union a été mortellement blessée le 4 juin 1913 lors du Derby d’Epsom après s'être avancée sur la piste devant le cheval du roi George V. Son objectif était d’attirer l’attention sur la lutte pour le droit de vote des femmes. Son geste a marqué durablement les consciences et contribué à faire avancer la cause politique des femmes. Le féminisme n’est pas seulement une série de revendications abstraites : il transforme la société par des actions concrètes, ce qui déplait profondément à certains.

Cette action prend différentes formes, et la stratégie est souvent subtile. La théorie du radical flank effect (Simpson, Willer & Feinberg, 2022) montre que les factions radicales dans un mouvement peuvent rendre les revendications plus modérées plus acceptables et efficaces. Dans le féminisme, les voix audacieuses permettent aux réformes plus larges d’être entendues et légitimées.

Le féminisme ne dessert donc pas les femmes. Il les défend, les protège et les propulse. Il bouscule les normes, combat les violences, revendique une juste représentation des femmes. Il construit une société où l’égalité n’est pas une idée abstraite, mais un droit réel. Et c’est exactement pour cela qu’il dérange encore tant.

Les principes de l’approche féministe

Comme nous l’avons vu, les violences et, plus largement, les inégalités entre hommes et femmes ne sont pas des problèmes individuels : elles découlent de la socialisation et d’une organisation sociale qui favorise les rapports de pouvoir masculins. Les violences s’inscrivent ainsi dans un contexte global, enraciné dans ces rapports de force (L’approche féministe et ses principes, L’Équinoxe).

L’approche féministe repose sur des valeurs d’égalité et de respect, et reconnaît que notre société est patriarcale, c’est-à-dire un système dans lequel les hommes détiennent la majorité du pouvoir, où leurs expériences, leurs normes et leurs intérêts sont considérés comme la référence. Ce modèle hiérarchique influence les rapports sociaux, les institutions et la répartition des rôles entre les sexes. Son objectif est de permettre aux femmes de reprendre individuellement et collectivement du pouvoir sur leur vie.

Selon les principes directeurs adoptés par L'Equinoxe, une maison d’hébergement canadienne, cela passe par :

  • Favoriser la solidarité entre femmes, les rapports égalitaires et la défense de leurs droits.
  • Affirmer que les femmes et les enfants victimes de violence ne sont pas responsables de la violence subie.
  • Reconnaître leur droit à l’autonomie, au respect et à la liberté.
  • Soutenir leur potentiel et leurs compétences pour prendre des décisions éclairées et diriger leur vie.
  • Comprendre que le changement individuel contribue au changement social, et vice versa.

Le féminisme : les hommes ne sont pas exclus

Contrairement à l’idée reçue, le féminisme n’exclut pas les hommes (quoique jusqu’ici, nous arrivions bien à mener notre lutte sans eux) : il les invite à se remettre en question et à devenir acteurs du changement. Entendons nous, les hommes aussi peuvent être victimes des normes de genre, comme l'injonction à la virilité, l'interdiction de montrer leurs émotions, la stigmatisation lorsqu’ils sont victimes.

Parlons de la fameuse crise de la masculinité, décrite par le politologue Francis Dupuis-Déri (La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace). Ce grand récit présente les hommes comme “castrés” par les féministes, condamnés au silence, incapables de draguer sans risquer la prison… On peine d’ailleurs à compter le nombre de femmes devenues riches simplement en portant plainte contre un homme.

Selon Dupuis-Déri, l’antiféminisme est en grande partie une réaction à cette soi-disant crise, qu’il divise en plusieurs visages. D’abord l’antiféminisme religieux, qui invoque Dieu pour rappeler que “l’homme est la tête du foyer” et que la femme est née pour enfanter. Pratique, non ? Puis l’antiféminisme socialiste, qui accuse le féminisme de détourner des “vraies luttes”. "Abolissons d’abord le capitalisme, on verra plus tard pour l’égalité". Et enfin, cerise sur le gâteau patriarcal, le masculinisme, ce mouvement persuadé que les hommes sont en crise d’identité à cause des féministes. Il déplore qu’"avant, chacun était à sa place" et que les grands perdants du féminisme seraient… les hommes.

Leurs arguments ? Les hommes se suicident plus, échouent davantage à l’école. Les chiffres sont vrais, les explications beaucoup moins. Dupuis-Déri rappelle qu’à la fin du XIXᵉ siècle, les hommes se suicidaient déjà plus, alors même que les femmes n’avaient ni droit de vote, ni autonomie économique. Et dans des pays où le féminisme est quasi absent, comme le Mexique, les hommes se suicident encore davantage. Les causes sont ailleurs : précarité, crises économiques, isolement, questionnements identitaires. Bref, ce n’est pas le féminisme qui rend les hommes malheureux, c’est le modèle viriliste qu’ils traînent comme une armure trop lourde.

Et pour ceux qui crient que “les hommes ne peuvent plus séduire”, un petit rappel, l’hétérosexualité va très bien, et ce n’est pas grâce à eux. Certains vont même plus loin, comme les incels (involuntary celibates), ces jeunes hommes persuadés que les femmes leur doivent du sexe, et qui transforment leur frustration en haine. Preuve que ce n’est pas le féminisme qui abîme les rapports entre les sexes, mais la croyance que les femmes sont redevables de quoi que ce soit.

Les hommes sont donc eux aussi pris au piège du patriarcat. Comme le souligne France Culture dans le podcast La violence, une affaire d’hommes, 82 % des personnes mises en cause pour crimes ou délits sont des hommes, et 23 % des jeunes hommes estiment qu’il faut parfois “être violent pour se faire respecter”. Cela ne signifie pas que les hommes naissent violents, mais qu’ils grandissent dans un système qui valorise la force, la domination et les rapports de pouvoir. La virilité y est souvent synonyme d’autorité et de contrôle. Bref, de tout sauf de vulnérabilité. Résultat : ils sont aussi les premières victimes des accidents de la route, des bagarres et des conduites à risque.

Dans Le coût de la virilité (2021), Lucile Peytavin met des chiffres sur ce désastre : 95 % des crimes et délits sont commis par des hommes, et cette virilité socialement valorisée coûte environ 95 milliards d’euros par an à la société française. Derrière ces chiffres se cachent les mêmes injonctions. Prouver sa force, dominer, ne rien montrer. Autant de réflexes qui détruisent autant qu’ils rassurent.

Le féminisme, lui, ne cherche pas à les rabaisser, mais à les libérer de cette caricature virile. Il leur rend le droit d’être vulnérables et sensibles. Et puisqu’il vise une société plus égalitaire et apaisée, il servira forcément les hommes autant que les femmes.

Ainsi, nous cherchons des alliés à la cause féministe, qui profitera à tout le monde, en droits comme en libertés. Mais attention, être allié ne veut pas dire s’approprier la lutte. Soutenir le féminisme, oui ; en tirer la gloire, non (mais ceci fera l’objet d’un prochain article.)

Bibliographie

Dupuis-Déri, F. (2022). La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace.

Festinger, L. (1957). A theory of cognitive dissonance. Stanford University Press.

Harmange, P. (2020). Moi les hommes, je les déteste.

Kieffer, A., & De Kervasdoué, C. (2023, 9 juin). La violence, une affaire d’hommes. France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/grand-reportage/grand-reportage-emission-du-vendredi-09-juin-2023-2677802

L’approche féministe et ses principes | L’équinoxe. (s. d.). https://maisonequinoxe.ca/lapproche-feministe-ses-principes#

Larousse, É. (s. d.). Définitions : féminisme - Dictionnaire de français Larousse. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/f%C3%A9minisme/33213

Repères statistiques - Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. (s. d.). https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/

Sidanius, J., & Pratto, F. (1999). Social dominance. https://doi.org/10.1017/cbo9781139175043

Simpson, B., Willer, R., & Feinberg, M. (2022). Radical flanks of social movements can increase support for moderate factions. PNAS Nexus, 1(3). https://doi.org/10.1093/pnasnexus/pgac110

Wicky, L. (2025). Les violences sexuelles envers les hommes : commises par d’autres hommes, dans l’enfance. Population & Sociétés, n° 633(5), 1‑4. https://doi.org/10.3917/popsoc.633.0001