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Les émotions, la métaphore et la cognition

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Introduction


Le verbe est le principal véhicule de la communication interpersonnelle. La plupart des méthodes de psychothérapie reposent sur l’échange verbal.

Valérie est une femme de 45 ans qui a subi les offenses sexuelles de son père durant son enfance. Elle a aussi subi des humiliations, des violences physiques au point que sa vie de jeune adulte en a été considérablement affectée. Elle est régulièrement assaillie de Flashback, par des cauchemars au contenu récurrents. Elle parvient à donner le récit de certains cauchemars mais elle révèle qu’il lui est impossible de dire le contenu de certains flashbacks. Elle en a honte, elle ne comprends pas ! On devient qu’il s’agit de l’évocation des prédations sexuelles subies alors qu’elle était enfant.
Frappé par ce mutisme le psychiatre qui la suit au CMP, se dit agacé par cette impossibilité. « Vous me faites perdre mon temps : »Lui assène-t-il.
Elle ne manifeste aucune opposition au processus thérapeutique, on la sent faire tous les efforts possibles pour collaborer et la honte se couvre de culpabilité de ne pas pouvoir tous les éléments verbaux qui pourraient aider l’équipe d’accompagnement à la faire progresser.

Ce mutisme est normal et fréquent. Il s’explique si l’on tient compte de l’évolution de la personnalité de l’embryon à l’âge adulte.
Mais, que faire quand on est confronté à l’innommable ? Comment ne pas se sentir différent quand tout vous projette vers l’univers du verbe ? Ces questions se posent aux personnes victimes de traumatismes précoces dans l’enfance ou, des adultes qui ont subi des traumas gravissimes qui sidèrent leur faculté de compréhension. 

La cognition incarnée

Une partie de l’article a été écrite à partir du Blog Le cerveau à tous les niveaux. Les références cliniques sont de l’auteur.

Le corps est à la fois le lieu de sensations, de perceptions et d‘émotions. Il est aussi le véhicule d’actions sur le monde à travers des boucles sensorimotrices continuelles. Lesquelles résultent de couplages complexes entre l‘organisme et l‘environnement.
Ces couplages sont la base même des processus cognitifs. Ces derniers sont influencés par la forme du corps, par les émotions, et par les systèmes sensorimoteurs.
La cognition est située, c‘est-à-dire qu‘elle s‘inscrit dans un environnement, ce qui implique que pendant qu‘une tâche cognitive est en voie d’accomplissement : 


– les perceptions sont intégrées en permanence, affectant ainsi les processus cognitifs en cours ; 
– des activités motrices sont exécutées et affectent des aspects de l‘environnement qui sont pertinents pour la tâche. 
Les formes instinctives héritées de l’évolution font que l’organisme humain, comme celui de tout animal, est fondamentalement situé dans son environnement. Il peut évoluer et agir sur son territoire là où les composantes de l’ environnement ont une valeur qui facilitera la régulation homéostasique.
– La cognition est située culturellement : le comportement se plie à des règles et à des normes.


La cognition s’inscrit également dans le temps à deux niveaux, diachronique et synchronique.

* Diachronique car elle enregistre les informations selon l’écoulement du temps, tel que nous le concevons – cognition située ;

* Synchronique car elle peut relier les informations selon leur valeur (A. Damasio, la valeur de l’émotion). Elle établit ainsi une synchronicité entre des objets espacés dans le temps diachronique.

Certaines activités cognitives qualifiées comme « offline » (imaginer, planifier, se souvenir, simuler des scénarios, etc.) n‘entrent pas directement dans ces processus situés typiquement « online ». (Maxwell Ramstead, université Mc. Gill, Montréal)
Les comportements online qui nous animent à tout moment dans la réalité physique objective permettent à nos pensées abstraites de se construire. Leur action est autonome, elle échappe aux processus conscient et découle de l’évolution de l’espèce.
Les processus cognitifs sont incarnés et, selon F. Varela et H. Maturana, dans la perspective de l’énaction, un individu entre en interaction avec son environnement grâce à toutes ses expériences personnelles mémorisées. « Cette interaction donne lieu à ce que Varela et Maturana appellent un couplage structurel (structural coupling). Ce concept met l’accent non pas sur l’adaptation optimale d’un organisme à différentes régularités du monde mais sur la viabilité d’un certain nombre de couplages organisme/environnement. » (“Le cerveau à tous les niveaux”) Comme le précisait déjà H. Laborit, l’organisme a pour finalité première la protection de la vie et l’expansion de son territoire.
Selon E. Varela « Il faut que l'organisme soit suffisamment incarné dans un environnement pour pouvoir se débrouiller malgré le fait qu'il ne possède pas une représentation préalable du monde. Son monde émerge avec ses actions. » C’est le fondement même de l’expérience que Varela distingue de la Conscience.
« C'est l'expérience de se référer à soi, de se référer à sa propre expérience. La réflexivité est quelque chose d'absolument crucial, c'est la grande mutation qui se produit avec l'apparition du langage chez l'homme. Mais là où je vois des problèmes, c'est quand on essaye de coller la conscience à cette capacité réflexive sans faire état de l'énorme background que représente l'expérience. Certains chercheurs utilisent le terme de conscience primaire pour désigner la conscience non réflexive. C'est intéressant, parce que dans la vie quotidienne 90 % de l'expérience est primaire, pas réflexive. On marche, on prend le métro, on peut même avoir des pensées sans qu'il y ait de réflexion. »
(In La Recherche, <http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=18406>)
Pour G. Lakoff et Johnson, en référence au concept d’incarnation sémantique, non seulement les capacités perceptuelles et motrices du corps déterminent comment nous expérimentons les choses, elles déterminent aussi le sens que nous leur accordons dans le registre culturel de notre environnement et de son histoire. Nous comprenons le monde et l’expliquons par le langage.
Pour plusieurs chercheurs, on conçoit les émotions et la cognition comme deux fonctions mentales séparées mais en constante interaction. Plusieurs faits appuient cette distinction conceptuelle. En faveur de ces hypothèses on a constaté que les lésions de certaines parties du cerveau inhibent l'évaluation émotionnelle d'un stimulus sans que la capacité cognitive de percevoir l'objet soit affectée.
Le cerveau sait reconnaître instantanément la valeur des impacts sensoriels, bienfaisants ou non, avant même que le système de perception ait fini de l'analyser. Les expériences menées par A. Damasio et son équipe de l’Université de Californie du Sud on scientifiquement établi ces faits. 
Les mécanismes en jeu pour l’archivage, le stockage, et l’accès de la mémoire émotionnelle associée à un facteur sensoriel diffèrent de ceux qui traitent les processus cognitifs en réactions au même facteur sensoriel. La mémoire liée au trauma est autonome et atemporelle – elle ne dépend pas de la succession diachronique des événements. (M. Green, 1993) Alors que les processus cognitifs bénéficient des acquisitions accumulées au cours du temps, par l’éducation, l’expérience, l’initiation, etc.
Les systèmes qui évaluent la valeur émotionnelle d'un facteur sensoriel sont directement liés à la réponse émotionnelle. Les systèmes cognitifs sont beaucoup plus plastiques et différenciés quant à la réponse apportée.
Par conséquent, la plupart de nos émotions impliquent automatiquement des modifications physiologiques dans notre corps desquelles découlent l'expérience consciente d'un sentiment. Les émotions ont besoin de toutes les ressources du corps pour leur expression immédiate. A. Damasio a particulièrement mis en évidence cette mobilisation globale de l’organisme quand il est confronté à un stimulus qu’il nomme Objet X. Ce dernier pouvant être externe, appartenant à la réalité physique objective,  ou intérieur, appartenant à la réalité psychique objective – qui résulte d’une forme d’introspection.
Les émotions ne sont pas des pensées spécifiques associées à des événements. Les émotions résultent de la mise en jeu de systèmes complexes et archaïques qui ont évolué tout au long de l’histoire de l espèce pour répondre aux besoins de l’organisme. Ces systèmes sont différents de ceux de l’organisme.
Tel est le cas des personnes qui ont subi des traumas répétés durant la petite enfance, moment où les capacités de verbalisation ne sont pas suffisamment développées pour que leur verbalisation soit possible. Ces personnes peuvent acquérir des connaissances, des savoir-faire très sophistiqués alors que s’il s’agit d’exprimer leurs sentiments ou leurs émotions, elles s’avèrent quasiment dans l’impossibilité de le faire.
Prenons par exemple la peur. Comme la plupart des émotions, elle a pour origine une réponse adaptative à une situation de danger. L’organisme détecte le danger. Sa structure globale est menacée, ce qui génère l'émotion initiale. Le sentiment conscient – feeling – d'éprouver cette émotion n'est que la pointe ressentie des processus mis en œuvre au moment où l’organisme a été impacté. Ces processus impliquent, entre autre, tant l’Insula que l’hippocampe ou l’amygdale.
Le ressenti conscient d’un impact sensoriel et le ressenti conscient d’une émotion dépendent du même processus dynamique conduisant à une représentation consciente. Par contre les systèmes qui produisent le ressenti conscient de l'input différencient ressentis d’émotions et ressentis sensoriel direct. Un seul mécanisme de la conscience peut être occupé soit par un impact sensoriel, soit par une émotion.
On peut donc dire que les émotions et les pensées impliquent chacune des processus sous-symboliques – au sens de liens chargés de sens interprétable par la conscience d’après les expériences passées. Voir à ce sujet ce qu’en dit E. Varela, ci-contre – inconscients mais qui peuvent tous deux accéder à la conscience. Les systèmes impliqués dans la genèse des sentiments, les régions cérébrales, les systèmes nerveux périphériques, le système hormonal et le système immunitaire sont plus étendus que dans le cas des ressentis émotionnels, plus directement générés par l’Insula. (Damasio)
Par conséquent, les émotions qui sous-tendent nos ressentis créent une multitude de phénomènes tous orientés vers un même but : se mobiliser pour faire face à quelque chose d'important et directement relié à notre survie. Les pensées, à moins qu'elles ne déclenchent quelque chose dans notre système émotionnel, ne produisent généralement pas un tel remue-ménage interne.