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Les émotions et la conscience

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Les hypothèses qui avaient cours jusqu’au seuil des années 90 laissaient entendre que le cerveau serait un superordinateur doté de milliard de connexions que la science finirait par décrypter. Il n’était pas envisageable, d’une, que les émotions entrent dans le ballet en y jouant un rôle important parallèle à la raison, deux, que la dualité corps/esprit soit aussi mise à mal.

Antonio Damasio est directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité de l’Université de la Californie du Sud (University of Southern California) depuis 2005. Le public connaît ses travaux grâce à deux ouvrages parus chez Odile Jacob, Le sentiment même de soi, paru en 1999 et L’erreur de Descartes en 1995. Enfin Spinoza avait raison, joie et tristesse, le cerveau et les émotions a été édité chez Odile Jacob en 2004. Ses recherches ont bouleversé la vision que l’on avait de l’activité du cerveau et de sa place dans l’organisme humain. Les hypothèses qui avaient cours jusqu’au seuil des années 90 laissaient entendre que le cerveau serait un superordinateur doté de milliard de connexions que la science finirait par décrypter. Il n’était pas envisageable, d’une que les émotions entrent dans le ballet en y jouant un rôle important parallèle à la raison, deux que la dualité corps/esprit soit aussi mise à mal.
 
La fonction primordiale du cerveau est d’assurer l’homéostasie de l’organisme humain, c’est-à-dire le maintien permanent et la régulation harmonieuse de ses paramètres internes avec pour fin la survie. « Un organisme simple ou complexe n’est pas simplement en vie, il est résolu à rester en vie. » Ce désir inné et inconscient de rester en vie, qui se manifeste par des ajustements internes aux variations de l’environnement, est présent chez les êtres unicellulaires. Il précède donc l’apparition d’un système nerveux et d’un cerveau. C’est une forme d’instinct très archaïque attaché aux organismes vivants.
Cependant, le développement d’un cerveau permet à l’organisme humain d’étendre considérablement ses capacités à sentir son état interne et les variations qui y surviennent.
Ainsi, chez l’homme certaines structures cérébrales (tronc cérébral, hypothalamus et cortex insulaire) sont dévolues à cette tâche de surveillance et de réajustement constant. Elles reçoivent en permanence des informations sur l’état des viscères, des muscles, sur la température corporelle, la composition chimique du sang ; elles établissent à chaque instant un état des lieux sous forme de configurations neurale ou cartes corporelles internes, et prennent les mesures appropriées pour corriger les déséquilibres dangereux.
Dans le contact permanent à un environnement, à tout instant, le cerveau met à jour ces cartes sensorielles des différents systèmes et organes qui communiquent à chaque instant leur état interne, ce qui leur arrive, dans quelle position ils sont, ce qu’ils perçoivent, etc. Cet encartage totalement inconscient donne naissance a des images sensorielles, il induit une valorisation des états du corps. Ces images qui décrivent l’état valorisé de l’organisme sont des émotions. Cette organisation a pour but constant d’ajuster le corps a son environnement. L’ensemble des cartes valorisées engendre ce que Damasio appelle le Proto Soi inaugural – le premier auquel parvient une information.
Ce système de régulation fonctionne de façon inconsciente et autonome. Ce système n’a donc pas besoin des structures d’intégration supérieures pour fonctionner mais cela ne signifie pas qu’il en soit totalement indépendant. En effet, certaines décisions prises au niveau des centres corticaux peuvent influencer voire perturber cette activité régulatrice.
Le compte rendu des changements imposés au Proto Soi est mis en relation avec l’objet inducteur des changements, lui même représenté par des images mises en carte et valorisé. L’assemblage de la carte du Proto Soi et de la carte de l’objet donne naissance à une nouvelle carte dite de second ordre qui représente le Proto Soi modifié par l’objet et mis en superposition temporelle avec lui.
Cette superposition demeure inconsciente donc non verbale. Les images générées par les cartes de second ordre qui décrivent la relation sont des sentiments – feelings, capacité de ressentir.
Damasio définit l’émotion comme « la série des changements qui se produisent dans le corps et le cerveau, le plus souvent en réaction à un contenu mental particulier ». Feeling serait alors la « perception de ces changements ».
Ces émotions ne sont pas entendues comme des affects non fondés dans le corps, mais plutôt comme des marqueurs somatiques (Damasio, p. 239) traduisant la réaction de l’ensemble de l’organisme à des objets ou évènements nouveaux. Les marqueurs somatiques alertent l’organisme lorsqu’une décision peut s’avérer néfaste à l’équilibre homéostasique de l’organisme. Ils préviennent celui-ci du danger potentiel d’un raisonnement non pertinent.
La mise en relation de l’image du corps avec l’image de l’objet permet au cerveau de « comprendre » l’événement en cours et d’émettre une décision pertinente qui induira par la suite une action appropriée pour une plus fine adaptation aux changements survenus.
« Les marqueurs somatiques aident ‘le processus de libération’ à se réaliser, en mettant en lumière certaines options (soit dangereuses soit favorables), et en permettant rapidement de ne plus avoir à les compter parmi celles à envisager ». Ils interviennent « de façon à évaluer les scénarios extrêmement divers du futur envisageable ».(Damasio, L’ Erreur de Descartes, Odile Jacob poches, p. 241) Ils visent une action juste avec le moins de dépenses possible pour l’organisme.
 
Ce point est de toute première importance car c’est aussi ce rôle que Jung assigne aux rêves – complémentaires ou compensatoires à l’action de la conscience – l’action décidée ou prise par cette conscience à un instant donné. Le rêve serait-il alors l’écho du proto Soi modifié perçu par la conscience quand celle-ci est au complet repos – durant le sommeil paradoxal quand tous les sens sont en éveil, et archivé un court moment dans une mémoire transitoire singulière. Les rêves seraient les images neurales des marqueurs somatiques. Or les rêves ne sont pas pris en compte par la neurologie. Les contenus et les affects autour desquels ils se trament sont considérés comme négligeables. ( ?)
Comme pour les rêves, nous utiliserons cette dynamique des images superposées – image-objet/image du corps – à des fins thérapeutiques au cours du processus que j’ai nommé en 1981 imagothérapie.
Lors de l’interaction de l’organisme avec un objet réel ou virtuel – créé par la conscience –, l’état interne du corps se trouve subtilement modifié et ainsi le proto-soi génère une nouvelle carte corporelle. Le compte rendu de ce changement entre l’ancienne et la nouvelle configuration neurale est enregistré sous formes d’images neurales non verbales, les cartes neurales de deuxième ordre. Celles-ci établissent une relation causale entre le changement et l’objet. Ainsi, la représentation neurale du proto-soi non conscient en cours de modification permet à l’être de se sentir en train de connaître ; c’est l’émergence d’une conscience à travers le feeling – la perception du changement. Damasio la nomme conscience-noyau.
Elle définit les contours du Soi central transitoire, centré sur l’ici et maintenant, sans cesse recréé par les objets avec lesquels l’organisme interagit dans l’instant présent – cf. E. Varela avec la notion d’attention et de vigilance. Damasio la représente sous forme de pulsations de conscience, qui commence avec le changement du proto-soi et se termine lorsqu’un nouvel objet vient à son tour déclencher sa propre série de changements. Il serait illusoire de rechercher une localisation cérébrale unique pour la conscience-noyau car manifestement plusieurs structures sont impliquées dans la création de ces cartes neurales de deuxième ordre – thalamus, cortex cingulaire et des zones des cortex préfrontaux.