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La cognition incarnée

Selon Francisco Varela

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 02/08/2023


Francisco Varela (1946-2001) souhaitait que les sciences cognitives, et en particulier les théories de la cognition incarnée, puissent avoir un impact sur notre vie quotidienne. La pratique quotidienne qu’il propose pour explorer « l’inscription corporelle de l’esprit » ne vient toutefois pas de la tradition occidentale mais d’une forme de méditation bouddhique dite de « l’attention / vigilance ». Attention / vigilance signifie ici que l’esprit est présent à l’expérience quotidienne, que l'individu vit ce que son esprit fait quand il le fait, bref que la personne coordonne corps et esprit. Conscience primaire selon les neurosciences.
Dans cette forme de méditation, l’individu apprivoise aussi progressivement l’idée qu’il n’y a aucun refuge stable et précis dans l’expérience. On appelle ce sentiment « l’absence de Soi » ou « absence de fondement » (sunyata). Et de fait, la quasi-totalité de la voie bouddhique traite des moyens de surmonter l’attachement émotionnel au moi.
En s’appuyant sur une tradition philosophique non abstraite et ancrée dans l’expérience humaine, F. Varela entend dépasser l’exigence occidentale de trouver à tout prix un fondement à ce que nous sommes. Pour lui, la pratique de ce type de méditation, qui mène à ce que la tradition bouddhique appelle la « voie moyenne », permettrait de se démarquer de deux pôles extrêmes : celui de l’objectivisme et celui du nihilisme. Les deux étant profondément liés, selon Varela, dans la mesure où le nihilisme serait une réaction à la perte de confiance en l’objectivisme.
En effet, l’idée que les choses peuvent être saisies comme telles, indépendamment du sujet qui les perçoit (objectivisme) a été ébranlée par les découvertes de la physique quantique sur la nature indécidable de la réalité. Et comme il est difficile à la pensée occidentale de penser sans fondements, la tentation est forte de rechercher un nouveau socle solide et indépassable. C’est en ce sens que le mode de déni de la réalité qui caractérise le nihilisme peut être vu comme une forme subtile d'objectivisme dans la mesure où le nihilisme continue de servir en quelque sorte de fondement.
Or pour Varela la méditation bouddhique de l’attention/vigilance, qui prend en compte nos vécus à la première personne dans notre environnement, fournit la méthode idéale pour revenir à soi sans considérer que la subjectivité seule ou le « monde objectif » constitue un fondement absolu.
Cette tradition donne aussi l’occasion d’une reformulation de l’éthique en l’absence de fondements. L’affrontement de nos propres tendances à la recherche de fondements finirait par développer un sentiment amical envers soi-même et permettrait d’élargir progressivement ce sentiment à son entourage. Cette reformulation de l’éthique rejoint la préoccupation des éthologues qui signalement que nous percevons le monde d’après l’image que nous avons de lui et non selon ce que le monde nous donne d’abord à voir et à sentir.
Cette empathie ne relèverait alors pas d’une injonction morale pragmatique, ni d’un système éthique axiomatique, mais serait basée sur la capacité de réponse à soi et aux autres en tant qu’êtres sensibles qui souffrent, parce qu’ils se cramponnent à un moi dont ils sont en fait dépourvus. L’absence de fondements se révélerait ainsi comme une sollicitude englobante et décentrée.

Source
D'après un texte du site Le cerveau à tous les niveaux, un site incontournable pour l'approche des neurosciences, créé par Bruno Dubuc, Patrick Robert, Denis Paquet et Al Daigen