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De la fonction transcendante à l'Imagination active

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023



Pour Jung, la Fonction transcendante réalisera ce pont entre les données de la conscience – trop figée – et les contenus de l’inconscient, seuls susceptibles d’assurer, par intégration au réel, une nouvelle adaptation. De plus, selon lui, le transfert, loin de réaliser une projection de dépendance infantile à l’égard du thérapeute, constitue la projection sur celui-ci de cette fonction vitale.


On voit combien la fonction du thérapeute se rapproche de celle de l’antique chaman, médiateur entre le monde des esprits et celui des humains. On sait aussi que le médecin chinois avait pour mission de « lever la tête au Ciel » et « d’abaisser le regard vers la Terre », ce afin de discerner les grands mouvements de la nature et les transformations qu’opérait leur venue sur la Terre.


Cette fonction médiane du thérapeute est essentielle si on l’associe à celle, plus familière du transfert et du contretransfert.7


Ainsi Jung aborde peu à peu la façon dont on peut rencontrer les contenus de l’inconscient, rêves, fantasmes, etc. de manière constructive et non en les réduisant à une grille interprétative. Cette approche dynamique peut amener la réduction de l’état de stagnation antérieure. Certes, dit-il, « au début la Fonction Transcendante est artificielle » car elle est supportée par les connaissances du thérapeute. Mais cette artificialité se résorbe rapidement dès que les mécanismes d’autorégulation se remettent en place. Faut-il tout de même que la personne ne soit pas trop engoncée dans sa volonté de maîtrise du réel. Les rêves, alors, ne suffisent pas, le thérapeute doit donc intervenir pour aller à la pêche aux contenus de l’inconscient. Voilà un thérapeute devenu actif et c’est en est fini de la sacro-sainte neutralité !


Jung se pose la question du choix des matériaux à utiliser pour obtenir de l’inconscient des informations que la personne pourrait entendre d’abord, intégrer ensuite. Il recense alors tous les matériaux sur lesquels Freud avait déjà opéré et que Jung élimine l’un après l’autre. N’oublions pas que Jung nous situe dans un cas de figure spécifique où le Conscient est devenu trop figé pour accepter quelque contenu qui dérangerait son adaptation présente. C’est là une situation de raideur psychologique que nous rencontrons de plus en plus souvent ! Le phénomène d’uniformisation qui s’étend à la planète entière, provoque de nombreux phénomènes d’acculturation mais également une très forte pression sur les contenus autonomes des psychés individuelles. Le laminage de la normalisation intensive se paie de ce prix. Cette contrainte laisse peu de place à l’improvisation ou à l’originalité personnelle.


Jung insiste sur la nécessité d’accès aux contenus de l’inconscient mais il définit une sorte de seuil à partir duquel il convient d’intervenir. Il admet que certaines personnes puissent ne pas avoir besoin d’une telle opération psychologique artificielle ni éprouver le besoin de faire alliance avec les contenus de l’inconscient. Par contre si la charge des produits de l’inconscient est trop élevée il en résulte un état de souffrance fort préjudiciable, précisément, à la fonction du Moi et à la production de comportements adaptés8... Ce qui ne manque pas de se produire quand les impératifs de cette adaptation, imposés par le social, s’écartent trop des nécessités humaines essentielles et originelles, telle qu’une certaine harmonie entre la sphère instinctuelle/émotive et la sphère rationnelle et matérielle. L’influence régulatrice de l’inconscient est alors supprimée et elle peut s’inverser en une pression négative.


Dans ce cas Jung propose l’usage de ce qu’il nomme l’Imagination active.


« On commence par prendre l’état mental du patient comme l’objet à approfondir, ce qui se fait comme suit : il doit se préoccuper intensément de son humeur, en éloignant son sens critique, s’y absorber complètement et noter sur un papier la description de son humeur et de tous les phantasmes qui en surgissent. Il doit laisser le champ absolument libre à ces derniers. On obtient ainsi une expression plus ou moins complète de l’humeur qui reproduit le contenu de la dépression – par exemple – de façon aussi globale et fidèle que possible. Comme la dépression n’est pas le fruit du conscient, mais représente une intervention non souhaitée de la part de l’inconscient, l’expression de l’humeur qu’on produit ainsi rend compte de l’ensemble des tendances de l’inconscient qui sont contenues dans la dépression. »


Voilà une première base de travail. Plus loin, Jung élargit ses outils d’investigation : « il y a une autre méthode qui consiste moins à travailler sur l’humeur qu’à l’exprimer. Ceux qui ont un don quelconque pour le dessin ou la peinture peuvent donner expression à leur humeur dans le tableau. »


Enfin Jung aborde la situation difficile dans laquelle rien de bien concret ne peut s’exprimer hors un vague sentiment ou une angoisse diffuse, un dégoût généralisé... Il faut alors créer de toute pièce le premier fil qui permettra de franchir le seuil des contenus de l’inconscient. « Il faut exclure l’attention critique » et faire en sorte d’abaisser le seuil de vigilance de la conscience... Les matériaux et outils créateurs d’un médian peuvent donc varier suivant les dispositions naturelles de chaque individu et on peut dire que celles-ci s’ordonnent selon les cinq sens. Selon mon expérience, si une personne dispose d’un talent particulier, l’écriture, par exemple, il vaut mieux user d’un autre support pour ouvrir un médian. En effet, un outil de création trop bien structuré risque de masquer les contenus vivants en leur donnant une tournure esthétisante.


Nous voilà donc devant une vaste panoplie d’instruments de « travail sur soi » par la voie de l’Imagination active. Nous connaissons, bien sûr, ces techniques d’abaissement du niveau de vigilance et « d’exclusion de l’attention critique ». L’Inde, le Tibet et la Chine nous ont légué de multiples méthodes de « méditation » – enseignées par de non moins multiples écoles de Yoga – mais toutes les cultures du monde en ont produit également. Le Moyen Orient nous a donné, entre autres l’Oraison monologiste9 dont on trouve l’empreinte dans les techniques que le Prophète Muhammad semble avoir utilisées.


On peut aussi rappeler les techniques de transe. Au Pérou, par exemple, chez les Quechuas, je n’ai pas remarqué les traces d’une quelconque technique de méditation. Par contre la transe est couramment utilisée dans les cérémonies chamaniques de guérison ou de consultation oraculaire. La prière et l’évocation y tiennent une place importante. Les brujos expliquent que les rituels d’entrée en transe sont nécessaires pour entrer en contact avec Saxawaman, le dieu de la montagne10. Certains brujos11 entrent immédiatement en transe après l’absorption d’une bouteille entière d’alcool de palme. L’Afrique nous a aussi fait don de techniques singulières et riches où le personnage tambour entre en relation avec le danseur, devenu lui-même la monture d’un esprit que le griot appelle. Les esclaves de la côte Ouest de l’Afrique, embarqués vers l’Amérique du sud ont recréé ces rites cérémoniels dans le Vaudou et dans le Candoumblé.12 Les rites africains sont extrêmement intéressants car ils offrent des possibilités surprenantes d’abaissement du niveau de vigilance de la conscience. En effet, nos consciences sont peu accoutumées au métissage de plusieurs genres, la danse, la musique et le cri/chant. Aussi bien en Afrique qu’en Amérique, chez les peuples indiens du Nord au Sud, l’association du rythme, du chant, de la mélopée et de la danse méritent une attention particulière.


On retrouve de nombreuses similitudes dans le courant de la danse Butô, que les initiateurs de ce courant ont su reprendre à leur compte.

 


1 – Jung ne connaissait pas les travaux de Henri Corbin à cette date. Ce n’est que plus tard, notamment au cercle d’Eranos que Jung rencontra de nombreux historiens, physiciens, mathématiciens et autres chercheurs, notamment, je crois savoir, Mircea Eliade.
2 – Il s’agit d’un manuscrit de la bibliothèque privée de Roland Cahen et traduit par lui. Je n’ai pas les références exactes de cet article dans les œuvres complètes de C.G. Jung, actuellement éditées. À demander à l’éditeur, Michel Cazenave auprès des éditions Albin Michel.


3 – Le terme est à prendre au sens allemand, difficilement traduisible : fantaisie de l’imagination avec une connotation positive. Chaque fois que j’aurais à reprendre ce terme dans son acception allemande je le reprendrai sous cette orthographe.
4Ma vie, souvenirs, rêves et pensées, p. 224.
5Commentaire sur le Traité de la Fleur d’Or, op. cit., p. 34.
6 – Voir le chapitre consacré à la danse thérapie.
7 – C’est pour cette raison que j’ai choisi le terme d’Imagothérapie pour nommer ma contribution à la technique d’Imagination Active. Thérapie est à prendre au sens antique du terme, à savoir médiation.
8 – Le lecteur aura remarqué depuis longtemps que ce terme n’est pas adapté à notre contexte. Il s’agit en fait de dire : adapté à la fois aux nécessités de l’être et à celle du social.
9 – Raymonde Gilant, L’Oraison monologiste, Lierre & Coudrier éditeur, Paris, 1988.
10 – Consulter à ce sujet et pour cette ethnie spécifique, les écrits de l’anthropologue péruvien, Francisco Aliaga, en cours d’édition sur le site Hommes et faits, déjà cité.
11 – Aucune traduction n’est appropriée : guérisseur, devin, sorcier, etc. le tout à la fois.
12 – « Les tambours de la liberté. Hurt of Africa », in Hommes et faits, <http://www.hommes-et-faits.com/atelier/> ; J’y évoque mon apprentissage de ces rites.