Bandeau logo de l'association Cavacs-France

De la fonction transcendante à l'Imagination active

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023



Dans d’autres passages, Jung inclut le mouvement et la musique parmi les moyens d’atteindre ces phantasmes. Mais il remarque que le mouvement – très utile pour dissoudre la crampe du conscient – est difficile à enregistrer, et que, si l’on n’a pas fixé concrètement le contenu de la fantaisie, il est étonnant de voir avec quelle rapidité les choses qui viennent de l’inconscient disparaissent de nouveau. Ceci n’est pas sans rappeler l’expérience de Rudolf Laban (1879-1958),6 qui, durant son séjour en Suisse, ne peut pas ne pas avoir rencontré Jung, d’autant plus que celui-ci n’ignorait rien du monde de la danse à cette époque. Sa rencontre avec Nijinsky en est un témoin. V. Laban propose en effet un modèle de construction et de mémorisation du geste. C’est une obsession constante du danseur ou du chorégraphe de vouloir fixer dans la mémoire un geste ou un mouvement qui convient. Nijinsky lui-même essaya d’inventer une écriture de la danse. Ces tentatives de mémorisation du mouvement sont restées jusqu’à présent sans suite, même dans la danse dite classique où l’on a simplement standadisé les figures.


Pour ce qui est du mouvement, Jung suggère que l’on répète les mouvements libérateurs jusqu’à ce qu’ils soient réellement fixés dans la mémoire. Ce que Laban propose également. Même dans ce cas, d’après mon expérience, il s’avère bon, lorsque cela est possible, d’en fixer quelque chose sur le papier. On peut tracer un schéma du mouvement de la danse, ou écrire quelques mots de description pour éviter que tout ne disparaisse en quelques jours. Le graphisme et le dessin sont ici associés. Il existe pourtant une technique de mémorisation qui s’avère souvent efficace : il s’agit de mémoriser par écrit les associations qui viennent en synchronie avec tel ou tel mouvement. Ces associations repèrent non pas le mouvement mais l’état émotionnel qui l’a fait surgir. Si le danseur se plie à cet exercice, il retrouve plus facilement l’affect de départ et, par suite, ses enchaînements.


Dans le même texte Jung dit, en parlant des types psychologiques : « L’un accueillera principalement ce qui lui arrive de l’extérieur, l’autre ce qui vient de l’intérieur. Et, comme le veut la loi de la vie, l’un prendra à l’extérieur ce qu’il n’avait jamais accepté de l’extérieur auparavant, et l’autre prendra a l’intérieur ce qu’il avait toujours exclu jusque-là. »


Ce retournement de l’être est porteur d’un élargissement, d’une élévation et d’un enrichissement du champ de conscience. C’est ainsi que se mettent en place de nouvelles adaptations au monde avec de nouvelles valeurs morales et éthiques, lesquelles peuvent être associées aux anciennes, dans la mesure où ces dernières n’étaient pas de pures fictions. Ce chemin n’est pas sans danger. Jung signale que l’une des premières conditions de cette déconstruction/transformation repose sur l’existence d’un Ego puissant et souple. C’est sur cette condition que l’alliance peut s’établir. L’Ego a pour première tâche de permettre de nouvelles adaptations dans le sens de ce qui est bon pour lui et de ce qu’il s’est assigné pour but. Il doit y mettre le maximum de discernement.


L’équilibre repose sur une libre acceptation par l’Ego de ces forces sauvages qui se mettent au service du libre épanouissement de la vie. Faut-il encore que ce but soit en alliance avec les potentialités de l’être. Jung évoque souvent cela sous cette forme : « s’adapter à soi-même ».


L’Imagination active


Jung définit la Fonction Transcendante comme un mécanisme d’autorégulation de la psyché humaine et ce processus est purement psychologique. Il agit sur le Conscient mais il peut aussi être déterminé en qualité et en pression par la propre attitude du Conscient. Cet équilibrage est absolument nécessaire et vital. Or, dit Jung, chez l’Homme civilisé cette autorégulation ne va pas de soi car le Conscient a tendance à devenir trop « dirigé » du fait des contraintes de la collectivité et des adaptations nécessaires à la survie collective. Si bien qu’il s’ensuit une série de « navettes » de l’inconscient au Conscient qui, à trop devenir unilatéral et exclusif, provoque un grave déséquilibre augmentant alors la pression de l’inconscient. Cela peut alors prendre des allures dévastatrices, par l’apparition dans le champ conscient d’instincts mal contrôlés, précédés souvent par une sensation d’angoisse ou bien par des comportements de défense


Par sa fonction d’adaptation le Conscient est amené à rejeter tous les éléments venus de l’inconscient qui sont incompatibles avec cette fonction. Or l’inconscient, comme source des contenus ancestraux, récents – parenté – et antiques – l’héritage de l’humanité, cherche à faire parvenir à la conscience ses propres éléments.


Pour Jung, le caractère « défini et dirigé » du Conscient est un bien précieux car c’est lui qui a présidé à l’évolution de l’humanité. Il est « même indispensable que cette fonction soit aussi stable et aussi bien définie que possible en chaque individu puisque la vie l’exige. » Par une sorte de mécanisme inévitable cette fonction finit par rétrécir le champ d’investigation et d’exploration du Conscient. C’est ce qui finit par provoquer une unilatéralité au bénéfice de la seule adaptation et de la maîtrise de celle-ci. Cette unilatéralité apparaît « comme un avantage et un inconvénient ». Avantage car elle facilite toute forme d’adaptation et de performance mais inconvénient car survient alors une réaction équivalente de l’inconscient. Si l’unilatéralité est trop importante, l’énergie de l’inconscient fait irruption dans le champ de la réalité physique objective en y provoquant des fractures événementielles, des symptômes et des dysfonctionnements plus ou moins graves. Plus l’effet perturbateur induit une réaction consciente de négligence ou d’ignorance et plus la contre-réaction suivante se fera puissante et dévastatrice.


Le cercle infernal de ce que d’aucuns appellent névrose est enclenché. Cependant il s’agit ici de bien plus qu’un accès névrotique. Il est plutôt question d’une attitude générale que la guérison psychanalytique peut fort bien ne pas réduire.


À ce point, d’ailleurs Jung insiste pour dire que la guérison psychanalytique est « une erreur des profanes qui date des débuts de la psychanalyse. Le traitement psychanalytique est une nouvelle manière d’ajuster l’attitude psychologique qui s’opère avec l’aide de l’analyste. Cette attitude nouvellement acquise, plus adaptée aux conditions externes et internes, peut durer longtemps. Mais il est rare qu’une seule ‘guérison’ soit acquise. » Jung ajoute plus loin « Il n’y a pas d’attitudes individuelles qui soient valables inconditionnellement et pour longtemps » Si la chose était déjà vrai en 1916, qu’en est-il actuellement au moment où même les sociologues évoquent une instabilité constante du champ social ? Comment un individu pourrait-il se contenter d’une attitude uniforme et stable tout au long de sa vie ? L’Homme moderne est donc condamné à faire face à des adaptations nouvelles sa vie durant. Ce qui revient aussi à dire que ce dernier devra tôt ou tard acquérir une capacité à faire face aux changements qui ne soit pas trop sinueuse et aléatoire.