Bandeau logo de l'association Cavacs-France

"Une Famille" : Entre passé douloureux et caméra témoin, l'Art de Christine Angot

créé par Marion Soulet - Dernière modification le 04/05/2024


Christine Angot, écrivaine française et lauréate de nombreux prix est connue pour ses romans abordant des thèmes difficiles comme le viol, l’inceste mais aussi l’impact de ces violences sous tous ses aspects. Ses oeuvres les plus célèbres ; "L'Inceste" (1999) ou "Un amour impossible"  (2015) tous deux inspirés de sa propre histoire ont suscité des retours controversés. Le 20 mars 2024 sortira en salle son tout premier film documentaire “une famille” où nous découvrirons Angot en tant que réalisatrice.

Résumé : 

L’écrivaine Christine Angot se rend à Strasbourg pour des raisons professionnelles, ville qui fait résonner en elle des souvenirs tragiques puisqu’à 13 ans, c’est ici qu’elle y rencontre son père pour la première fois. S’en suivra une série de viols commis par celui-ci. Mort en 1999, sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille.

 

Christine Angot, femme de lettre, dramaturge, réalisatrice talentueuse et mère d’une jeune fille, qui pourrait croire que se cache derrière elle, un passé si douloureux ? Pourtant, au-delà de cette apparence sans faille se cache une petite fille brisée, à qui on a volé son innocence. Ce métier d’écrivaine, elle l’a choisi par conviction, sa vie personnelle devenant alors le terreau de son œuvre, son but étant d’ouvrir la parole sur des sujets que peu osent aborder et encore moins à l’époque de son premier roman « Vu du ciel » sorti en 1990.

 

Oui, le viol, l’inceste et les violences sexuelles en général existent et ce, même s’ils  “dérangent”. Ils sont malheureusement une réalité pour beaucoup, réalité qui a trop souvent été passée sous silence. La parole gêne toujours, elle doit être fuie, oubliée, inavouable, poussant les victimes à se taire et à avoir honte.

 

Angot a vécu l’inceste paternel de ses treize à ses seize ans, elle fait partie de ces victimes que l’on incite au mutisme or, Christine a décidé de braver cette loi du silence et d’oser dire “l’indicible”. Ses romans ; “L’inceste” (1999), “Un amour impossible” (2015) ou encore son dernier ; “Le voyage dans l’est” (2021) abordent cette thématique sous différents angles mêlant son expérience personnelle et son art pour l’écriture.

Plus que de simples autobiographies, ses œuvres sont des romans à part entière où le “je” n’est pas le sien mais celui de toute personne qui se reconnaît à travers son histoire, ramenant des émotions, des souvenirs qu’ils s’étaient promis d'oublier.

 

Dans le film, Angot va à la rencontre de la femme de son père, celle qui n’avait répondu à aucun de ses appels, celle qui aurait pu et dû la protéger mais qui n’a rien fait. “Je ne voulais pas savoir”, cette phrase prononcée par sa belle-mère a eu l’effet d’un second viol sur la petite Christine de 13 ans qui avait tant souffert de son silence et qui espérait secrètement une once de compassion de celle qui l’avait vue grandir. Ne rien dire, ne rien faire c’est être autant coupable que le bourreau. Cette scène est d’une violence psychologique inattendue, le souffle coupé on ressent la colère de l’agressée envers celle qui a préféré fermer les yeux.

 

Beaucoup ont reproché à l’écrivaine une répétition du thème de l’inceste, assumant même qu’elle n’aurait jamais pu écrire si elle ne l’avait pas subi. Son parti pris assumé du roman, que personne ne souhaitait comprendre, a lui aussi été remis en cause. On peut d’ailleurs entendre dans le documentaire un journaliste dire que “Christine Angot parmi tous les écrivains contemporains est celle qui a subi le plus grand mépris de la critique littéraire”.

 

“Une famille” est un véritable passage de la littérature au cinéma, différent d’un simple documentaire, le dispositif cinématographique est aussi singulier qu’inédit. À l’écran se mélangent deux époques, des photos et vidéos prises au moment des faits mettent en lumière la tristesse écrite sur le visage fermé de la jeune Christine, on y reconnaît une colère inexprimée, une détresse insondable. En parallèle, se mêlent des plans filmés frontalement face aux personnes qu’elle rencontre lors de sa quête de vérité, de sens. Rien n’a été laissé au hasard, au-delà de l’image, ce sont les musiques, les sons et la voix narrative de Christine qui font que chaque plan nous secoue et nous prolonge dans un sursaut d’1h30.

 

Ce format est une réussite et celle-ci est soulignée par sa sélection officielle au Festival international du film de Berlin 2024.

Le film de cette nouvelle réalisatrice suit les pas de son dernier roman “le voyage dans l’Est” où elle y évoque les premiers viols de son père. L’inceste est donc certes au cœur du film néanmoins, “une famille” n’est pas centré sur l’impact que ces violences ont eu sur elle mais plutôt sur les autres. Sur ses proches, son ex-compagnon, sa mère, sa fille mais aussi plus largement sur le travail de la justice, de la police etc… Le but de ces rencontres filmées étant de faire surgir des mots, des non-dits, de combler son manque de réponses et ce, même si cela ne fera pas pour autant disparaître ses blessures.

 

Dans sa première œuvre cinématographique apparaît une volonté de s’exprimer au nom de toutes les victimes. Le titre « une famille » insiste sur l’universalité de son expérience, ce n’est pas “la” ou “sa” famille en particulier mais bien une parmi tant d’autres où a eu lieu une agression, toutes confrontées aux mêmes problématiques. Le film provoque donc un fort effet d'identification chez le spectateur.
 

La scène finale rassemble Christine Angot et sa fille Léonore, toutes deux se souvenant de la phrase prononcée par cette dernière lors de la découverte de l’histoire de sa mère. Seule expression que l'auteure a toujours désiré entendre, celle qui ne guérit pas car le passé est là et continuera d’être là mais qui apaise enfin Christine. En fond, l’horizon, une mer calme, une chanson de Caetano Veloso ; “La mer” et ces deux femmes unies par une force et un amour inconditionnel qui se suffisent à elles seules.   



 




Sources : 

 

“Une famille” de Christine Angot : de l’art du roman à l’art de filmer par Manon Grimaud https://laregledujeu.org/contributeur/manon-

https://www.unifrance.org/film/57664/une-famille

https://www.radiofrance.fr/franceinter/une-famille-un-film-documentaire-de-christine-angot-sortie-en-salles-le-20-mars-2024-6676026

https://rouen.fr/breve/2024/02/lomnia-accueille-christine-angot-pour-son-documentaire-une-famille-jeudi-7-mars-2024

Le Polyester : Critique : Une famille https://lepolyester.com/critique-une-famille/