Les violences sexuelles commises au sein de la famille, également appelées violences sexuelles intrafamiliales, représentent une atteinte d'une gravité extrême à l'intégrité physique et psychique de la victime. Ces violences se distinguent des autres formes d'agression par l'intensité de la trahison qu'elles engendrent. En effet, l’agresseur, ici membre de la famille, occupe souvent une position de pouvoir, de confiance ou d’autorité, rendant la dénonciation et la protection de la victime particulièrement complexes. Cette forme de violence impose un silence souvent long et destructeur, maintenu par la peur, la honte et les tabous sociaux et culturels .
Les violences sexuelles intra-familiales recouvrent plusieurs infractions pénales spécifiques inscrites dans le Code pénal. Elles se manifestent par un éventail d'actes qui peuvent varier en gravité, mais qui ont tous en commun l'absence de consentement de la victime et l’abus de pouvoir ou d’autorité exercé par l’agresseur .
L’inceste
Le terme juridique d’inceste désigne les agressions sexuelles et viols commis par un parent ou un membre de la famille au premier degré (père, mère, frère, sœur, oncle, tante, grands-parents, etc.). La spécificité de l’inceste repose sur le lien familial, qui aggrave les sanctions prévues par la loi. Selon l'article 222-31-1 du Code pénal, le viol incestueux est puni d'une peine de réclusion criminelle pouvant aller jusqu’à 20 ans, voire à perpétuité en cas de circonstances aggravantes (mineur de moins de 15 ans, violence ayant entraîné la mort, etc.) .
Les agressions sexuelles
Ce terme générique recouvre tout acte à caractère sexuel commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, sans pénétration (article 222-22 du Code pénal). Lorsqu'elles sont perpétrées au sein de la famille, les agressions sexuelles sont également considérées comme des circonstances aggravantes, en raison de l'abus de la position d’autorité de l’agresseur .
Les atteintes sexuelles
Elles concernent les relations sexuelles imposées à un mineur de moins de 15 ans par un adulte de la famille, même en l’absence de violence ou de contrainte. Ces actes, bien qu’ils soient parfois perçus comme moins graves que les agressions ou viols, restent des infractions pénales sévèrement punies par la loi .
La complexité des violences intra-familiales repose en partie sur la question du consentement. Lorsqu’il s’agit de mineurs, la loi présume l’absence de consentement en raison de l’immaturité psychologique de la victime. Cependant, même dans les cas où la victime est majeure, l'influence psychologique et affective de l'agresseur, souvent un parent ou un tuteur, rend la question du consentement problématique et souvent biaisée .
Les dimensions psychologiques des violences sexuelles intrafamiliales : une double trahison
Les conséquences psychologiques des violences sexuelles intrafamiliales sont particulièrement lourdes, car elles provoquent une dissociation entre la figure familiale protectrice et l’expérience traumatisante. Cette dissociation complique l'identification de la violence par la victime, surtout lorsqu'elle est jeune .
Traumatisme complexe et conséquences psychologiques
Sur le plan clinique, les victimes de violences sexuelles intrafamiliales souffrent souvent de ce que l’on appelle un traumatisme complexe. Ce terme désigne un ensemble de symptômes provoqués par des abus répétés, en l'absence d'un cadre de protection. Les victimes sont exposées à plusieurs formes de violences simultanées : physiques, émotionnelles, sexuelles et psychologiques. Les effets de ce traumatisme se manifestent par des troubles variés :
- Troubles du stress post-traumatique (TSPT) : Les victimes peuvent être confrontées à des reviviscences, des flashbacks, des cauchemars, des épisodes de dissociation ou de dépersonnalisation ;
- Problèmes de régulation émotionnelle : En raison du lien familial, les victimes sont souvent en proie à des émotions contradictoires comme l’amour, la culpabilité, la haine et la peur, entraînant des difficultés à identifier et gérer leurs sentiments ;
- Dépression : Un sentiment de désespoir, d’impuissance et d’isolement social est très fréquent, menant à des épisodes dépressifs sévères, voire à des idées suicidaires ;
- Le syndrome de Stockholm familial peut également se développer chez certaines victimes. Il s'agit d'un mécanisme psychologique où la victime développe une forme de loyauté ou d’affection envers son agresseur, souvent perçu comme une figure d’autorité . Cette situation rend encore plus complexe la rupture du silence et la capacité à dénoncer les violences.
Le silence imposé et l’incrédulité sociale
L’une des spécificités des violences sexuelles intra-familiales réside dans le tabou qui les entoure. Le cadre familial, perçu comme un lieu de protection, impose souvent un silence lourd. Ce silence est entretenu par des sentiments de honte, de culpabilité et la peur des représailles :
La peur de détruire la cellule familiale : La victime, particulièrement si elle est mineure, peut craindre d’être la cause de la désintégration de la famille, notamment si l’agresseur est un parent central .
L’incrédulité des proches : La révélation d’un inceste ou d’une violence sexuelle au sein de la famille est souvent perçue comme une trahison ou une invention. Il arrive fréquemment que d’autres membres de la famille refusent de croire la victime, minimisent les faits ou prennent le parti de l’agresseur pour préserver la stabilité familiale apparente.
Les freins à la dénonciation et les mécanismes de protection juridique
Les violences sexuelles intra-familiales sont particulièrement difficiles à dénoncer. De nombreux obstacles juridiques, sociaux et psychologiques freinent la révélation des faits et l’accès à la justice pour les victimes.
La prescription des crimes sexuels
Un des principaux freins à la dénonciation des violences sexuelles intrafamiliales a longtemps été la question des délais de prescription. Jusqu’en 2018, les victimes de viols et d’agressions sexuelles commis durant leur enfance disposaient de 20 ans à compter de leur majorité pour porter plainte. La loi Schiappa, adoptée en 2018, a prolongé ce délai à 30 ans après la majorité pour les crimes sexuels sur mineurs . Ce délai permet aux victimes d’avoir le temps de prendre conscience des violences subies, souvent bien après l’âge adulte.
Cependant, il est important de noter que, malgré cette évolution législative, la prescription reste un obstacle dans certaines situations, en particulier pour des violences commises il y a plusieurs décennies.
La protection des victimes mineures
La protection des mineurs est une priorité en matière de lutte contre les violences sexuelles intra-familiales. Le signalement obligatoire des violences est prévu par la loi. Toute personne ayant connaissance d'une situation de danger pour un mineur a l’obligation légale de signaler les faits aux autorités compétentes (procureur de la République, service de protection de l’enfance) . Les professionnels (enseignants, médecins, psychologues) sont particulièrement soumis à ce devoir de signalement.
En outre, l’intervention des juges des enfants et des services sociaux permet d’évaluer rapidement le danger encouru par l’enfant et de mettre en place des mesures de protection immédiates, comme un placement en foyer ou en famille d’accueil.
Prise en charge psychologique et thérapeutique des victimes
La prise en charge des victimes de violences sexuelles intra-familiales nécessite une approche pluridisciplinaire, alliant un accompagnement psychologique spécialisé et un suivi juridique adapté .
La reconstruction psychologique d’une victime de violences intra-familiales est un processus long et complexe, nécessitant l’intervention de professionnels formés au traitement du traumatisme sexuel. Les thérapies proposées peuvent inclure :
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) : Cette approche permet à la victime d’identifier et de modifier les schémas de pensée négatifs hérités de l’expérience traumatique .
L’EMDR : L ’Eye Movement Desensitization and Reprocessing, technique de désensibilisation des souvenirs traumatiques, est efficace pour traiter les souvenirs intrusifs et réduire les symptômes du TSPT .
Les groupes de parole : Offrant un espace de soutien entre pairs, ces groupes permettent aux victimes de partager leur vécu dans un cadre sécurisé et bienveillant, contribuant ainsi à la réduction de l'isolement et au soutien moral .
Renforcer la sensibilisation et la formation : un enjeu fondamental
Afin de mieux prévenir et détecter les violences sexuelles intra-familiales, il est crucial de renforcer la sensibilisation et la formation des acteurs institutionnels ainsi que du grand public.
La formation des professionnels
Les professionnels de santé, de l'éducation, du secteur social et de la justice doivent être formés pour détecter les signes de violences intra-familiales, souvent difficiles à identifier. Des formations spécifiques sur les mécanismes de dissociation, le silence imposé et la prise en charge psychologique des victimes doivent être proposées pour renforcer leur capacité d'intervention et d'accompagnement.
Sensibiliser les jeunes et les familles
La prévention des violences sexuelles passe également par la sensibilisation des jeunes et des familles aux notions de consentement, de respect et d'intégrité physique. En intégrant ces thèmes dans les programmes scolaires et en lançant des campagnes de sensibilisation à grande échelle, il devient possible de briser le silence et d'encourager la parole dès les premiers signes de violence .
Les violences sexuelles intra-familiales demeurent un sujet douloureux et tabou, mais elles ne peuvent plus être ignorées. En brisant les mécanismes de silence et en offrant des ressources adaptées aux victimes, nous pouvons espérer une meilleure reconnaissance sociale et juridique de ces violences, ainsi qu’un accompagnement efficace des victimes sur le chemin de la reconstruction.
Sources
- Code pénal, Article 222-31-1. Viol incestueux. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr
- Loi Schiappa, 2018, prolongation des délais de prescription. https://www.assemblee-nationale.fr
- Cour d'appel de Paris. Violences sexuelles intra-familiales : Jurisprudence récente et sanctions. https://www.cour-de-cassation.fr
- EMDR France. La thérapie EMDR dans le traitement des traumatismes. https://www.emdr-france.org
- Le Monde. Violences sexuelles en France : état des lieux et dispositifs d'accompagnement.