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Justice ou contrôle ? L'Affaire Rokia Traoré à la croisée du masculinisme et du néo-colonialisme

créé par Marie Carolle Marcelin - Dernière modification le 06/11/2024



L’affaire Rokia Traoré ne se réduit pas simplement à un conflit familial; elle symbolise un terrain d’expression où se croisent plusieurs dynamiques complexes. Ce cas spécifique touche non seulement aux questions de garde d’enfants dans un contexte de couple mixte, mais également à des enjeux plus larges de pouvoir patriarcal, ainsi qu'à l’héritage persistant du néo-colonialisme, en particulier dans les relations juridiques entre l’Europe et l’Afrique. L’analyse de cette affaire se déploie à travers deux axes principaux : le premier, d’ordre psychologique, met en évidence les mécanismes de contrôle coercitif associés aux comportements masculins ; le second, d’ordre juridique, examine comment les systèmes légaux européens, en particulier celui de la Belgique, contribuent à la réaffirmation de ces dynamiques de domination dans un contexte post-colonial.

Les faits de l’affaire Rokia Traoré

Rokia Traoré, chanteuse malienne renommée, s'est retrouvée au centre d'une bataille juridique contre son ancien compagnon belge, Jan Goossens, concernant la garde de leur fille. Ce conflit est devenu international lorsqu’un mandat d’arrêt européen a été émis contre elle par les autorités belges pour enlèvement d'enfant après qu’elle n’a pas respecté une décision de justice belge qui accordait la garde de l’enfant au père. Arrêtée en France en mars 2020, cette affaire a soulevé de nombreuses interrogations, tant sur le traitement de cette mère africaine par les systèmes judiciaires européens que sur les implications psychologiques de telles actions pour les mères africaines dans des situations similaires.
Masculinisme et contrôle coercitif semblent avoir joué un rôle clé dans cette affaire, tandis que les institutions juridiques européennes, souvent perçues comme les prolongements d'une domination coloniale, ont montré leur capacité à imposer des normes occidentales aux réalités africaines.


Masculinisme et pouvoir patriarcal : Analyse psychologique et juridique

Le masculinisme, dans son essence, est une idéologie qui cherche à restaurer et à maintenir la dominance masculine, souvent à travers des structures institutionnelles, comme le droit. Il s’oppose à ce qu’il considère comme un renversement des rôles de genre dans la société moderne, où les hommes seraient injustement désavantagés. Toutefois, il est documenté que ce mouvement, loin de simplement défendre les droits des hommes, cherche également à réaffirmer la domination masculine dans les relations conjugales et familiales. Dans l’affaire Traoré, cette dynamique prend une forme plus insidieuse, celle du contrôle coercitif.
Le contrôle coercitif est un terme psychologique qui désigne un comportement abusif visant à maintenir un contrôle psychologique et émotionnel sur un partenaire. Il peut inclure l'utilisation des procédures judiciaires comme outil de manipulation. Dans le cas de Rokia Traoré, l’utilisation d’un mandat d’arrêt international pour une affaire de garde d’enfant illustre comment un cadre juridique peut devenir un instrument de pouvoir et de violence symbolique. Psychologiquement, ces actions peuvent avoir des effets destructeurs sur les mères, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à un cadre juridique étranger, souvent incompréhensible et hostile.
La procédure légale engagée par l'ex-conjoint de Traoré témoigne d'une dynamique de domination masculine renforcée par les systèmes judiciaires occidentaux, qui peuvent être utilisés pour imposer des décisions de garde contraires aux réalités locales des femmes africaines. Ces systèmes, conçus pour résoudre les conflits familiaux, deviennent ainsi un levier pour prolonger un contrôle patriarcal. En Belgique, comme dans de nombreux pays européens, la justice familiale est souvent perçue comme biaisée en faveur des pères, surtout dans les cas impliquant des mères non européennes.


Néo-colonialisme juridique : Le rôle des institutions européennes dans la perpétuation de l’hégémonie juridique occidentale

Sur le plan juridique, l’affaire Traoré illustre également la manière dont le droit international et européen est utilisé pour imposer des décisions unilatérales sans tenir compte des réalités culturelles et légales africaines. Le fait que Traoré ait été arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, suite à une décision prise par un tribunal belge, pose la question de l'imposition des normes légales européennes aux citoyens africains dans des affaires qui relèvent fondamentalement du droit familial et des traditions locales.
Le Mali n’ayant pas ratifié la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, l'ordonnance belge a donc été appliquée dans un contexte où les cadres juridiques et les attentes sociales sont profondément différents. Ce type de situation souligne les asymétries de pouvoir entre l’Europe et ses anciennes colonies, notamment lorsqu’il s’agit de résoudre des litiges familiaux transnationaux. Le mandat d’arrêt européen, un outil censé faciliter la coopération judiciaire entre les pays européens pour lutter contre la criminalité, a ici été utilisé contre une mère qui défendait son droit de garder son enfant dans un contexte culturel et social africain.
L’hégémonie juridique européenne, dans ce cas, semble ignorer le fait que l’enfant vivait au Mali, sous la garde de sa mère dans un environnement stable et sécurisé. De plus, cette décision a soulevé des questions sur l’absence de reconnaissance des droits des mères africaines et des réalités culturelles locales, où les arrangements familiaux peuvent différer fondamentalement des normes européennes. Ce manque de respect pour les différences culturelles rappelle les mécanismes juridiques de l'époque coloniale, où les lois européennes s’imposaient de manière autoritaire dans les colonies, sans égard pour les coutumes locales.


L'impact psychologique et social : Répercussions sur les femmes africaines

L’arrestation de Rokia Traoré a provoqué une onde de choc chez de nombreuses femmes africaines, en particulier celles qui se trouvent dans des relations mixtes avec des Européens. L’article de France Info met en avant le sentiment partagé par ces femmes : celui d’une profonde injustice, face à des systèmes judiciaires qui ne semblent pas comprendre ou respecter leurs réalités culturelles. Pour ces femmes, l’affaire Traoré représente un symbole de la lutte contre la double oppression : celle du patriarcat et celle du néo-colonialisme juridique.
D’un point de vue psychologique, la procédure judiciaire et l’arrestation de Traoré ont des effets traumatisants non seulement sur elle-même, mais aussi sur les femmes africaines qui vivent des situations similaires. Elles se retrouvent confrontées à un système légal perçu comme partial, conçu pour protéger les intérêts des pères occidentaux, au détriment des mères africaines. Cette situation provoque une détresse psychologique majeure, accentuée par le sentiment d'être prises au piège d’un système où leurs voix et leurs réalités sont ignorées.
De plus, cette affaire rappelle également les traumatismes historiques du colonialisme, où les lois européennes étaient imposées dans les colonies, sans prendre en compte les systèmes juridiques locaux. Ce passé colonial continue de façonner les perceptions et les relations entre l’Europe et l’Afrique, créant une méfiance généralisée à l'égard des systèmes judiciaires européens, en particulier lorsqu'il s'agit de résoudre des affaires familiales impliquant des citoyens africains.


Vers une réévaluation des normes juridiques internationales

L’affaire Rokia Traoré est emblématique des défis posés par l'intersection entre masculinisme, patriarcat, et néo-colonialisme juridique. Elle révèle comment les hommes peuvent exploiter les systèmes judiciaires occidentaux pour maintenir leur emprise sur leurs ex-conjointes, et comment ces systèmes continuent d’imposer des normes qui ne prennent pas en compte les réalités culturelles et sociales africaines. Cette affaire met également en lumière les asymétries de pouvoir dans le droit international, et la manière dont le droit européen peut être utilisé comme un outil de domination post-coloniale.
Il est crucial de réévaluer les mécanismes juridiques internationaux dans les affaires de garde d’enfants transnationales. Il est nécessaire de créer des cadres juridiques plus inclusifs, qui reconnaissent la diversité des cultures et des contextes, tout en garantissant que les décisions prises respectent les droits des mères et des enfants, quelle que soit leur origine géographique. Cela implique de repenser les rapports entre les systèmes judiciaires européens et africains, en vue d’instaurer une justice plus équitable et sensible aux réalités locales.
Cette affaire a eu un écho particulier auprès des femmes africaines, qui se reconnaissent dans la lutte de Rokia Traoré pour faire valoir ses droits. Il s’agit désormais d’un enjeu global : garantir que les mères africaines ne soient plus victimes de systèmes qui perpétuent des formes d’oppression patriarcale et néo-coloniale.


Sources :

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/l-affaire-rokia-traore-un-conflit-dans-un-couple-mixte-autour-de-la-garde-d-un-enfant-qui-trouve-un-echo-chez-de-nombreusesafricaines_3879693.html

24_10_08 affaire Rokia Traoré par CAVACS France https://www.canva.com/design/DAGS-1-LGgg/-wfk66JiOqehmw0btwvYVA/view