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Trauma and Dreams

Deirdre Barrett

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Après le deuxième viol, à la période où nous entamions un travail thérapeutique, elle dû annuler deux propositions de tournée car elle n’était plus capable de monter sur scène et de chanter.

Porter une robe de soirée, se coiffer, se maquiller lui donnait l’impression de « n’attendre que ça ».

Chanter des ballades, et surtout des chansons d’amour, lui était impossible pour la même raison.

La musique qui était sa vie, sa joie et son havre de paix, lui était désormais inaccessible à cause des sentiments de culpabilité et de honte que l’agression avait engendrés.

Au début de la thérapie, elle fit un rêve montrant sa peur de la mort et la conviction qu’être attirante pouvait provoquer le viol.

Dans la première partie du rêve je suis seulement observatrice, absente, comme si je regardais un film. Je vois une femme être méthodiquement violée et pendue. Elle était belle et était vêtue d’une élégante robe de soirée. Je ressentais ses sentiments mais pas dans toute leur intensité.

Dans la seconde partie, il était prévu que je chante en concert mais je ne trouvais pas le lieu et aucune tenue ne me semblait appropriée. Tout me semblait trop dénudé. Quand enfin je trouvais le club, mon père était sur scène. Il n’y avait pas de place pour moi.

Comme de nombreuses victimes qui se sentent responsable de leur agression, Jasmine pris du poids et commença à porter des pantalons amples et des pulls à col roulé qui la camouflaient le plus possible. Une telle transformation s’accordait mal avec la vie d’une chanteuse de Jazz.

Lorsqu’elle fut violée la seconde fois, Jasmine fut incapable de travailler pendant plusieurs mois, puis trouva des petits boulots de vendeuse et dans la comptabilité. Sous la pression de quelques musiciens, elle chantait encore de temps en temps mais pas de façon continue et déclina plusieurs opportunités professionnelles, notamment une tournée au Japon et dans l’est des Etats-Unis.

Dans la vie de Jasmine, comme dans la vie de bien des artistes, le développement personnel ne peut guère se dissocier du développement artistique. Le travail artistique est essentiel pour le bien-être de personnes comme Jasmine, qui ont un puissant besoin créatif. Mais un travail artistique ne peut être entrepris que si l’estime de soi est suffisamment solide.

Le viol détruit la base de l’estime de soi car il brise l’intégrité physique : les frontières physiques du corps ont été violées, souvent avec la menace implicite ou explicite de mutiler ou de détruire le corps. Si une personne perd le contrôle sur son propre corps, le noyau de l’estime d’elle-même est endommagé, voire anéanti. Un aspect fondamental du rétablissement d’un viol est donc de reconstituer et de protéger les frontières du corps.

Durant la phase aigüe de rétablissement de son second viol, Jasmine faisait de nombreux rêves relatifs à ses premiers viols et combinait des éléments du premier groupe d’agresseurs à des éléments du dernier traumatisme.

Elle avait tendance à faire plus de rêves concernant le retour des premiers violeurs que concernant le viol le plus récent, ce qui confirme la théorie avancée par des spécialistes du trauma (tel que Siegal au chapitre 12) selon laquelle un trauma donné fait ressurgir les anciens traumas, surtout mais pas nécessairement, lorsque les traumas sont similaires. Le nouveau trauma crée une recrudescence de conflits latents en lien avec le trauma précédent et les contenus et conflits des deux traumas se confondent rapidement. Par conséquent la thérapie démarrée par Jasmine à la suite de son second viol a commencé par le récit des deux viols.

Le remarquable pouvoir de guérison lié au récit du secret maudit (unholy secret), de même que la capacité de ces secrets à générer des maladies, avait déjà été observé dans le progrès considérable du travail bref de Jasmine au centre de soins. Un conte de fées irlandais résume bien ce processus, non seulement dans la thérapie de Jasmine mais également dans la phase précoce d’accompagnement de toute survivante d’inceste ou de trauma qui garde le terrible secret du trauma.

Il était une fois un roi qui avait des oreilles de cheval. Par peur de perdre le trône si son aspect pas tout à fait humain venait à se savoir, il s’appliquait à les cacher soigneusement. La seule personne à qui il ne pouvait pas les dissimuler était son barbier. Aussi, à chaque fois qu’il se faisait raser, le barbier était exécuté. Quand cette solution ne fur plus tenable, le roi engagea un barbier permanent qui était tenu au secret. Un peu plus tard, le barbier tomba malade. Le guérisseur du village devina que la maladie était causée par un terrible secret et il lui suggéra d’aller se le confier à un saule dans la forêt. Le barbier suivit ce conseil et il fut guérit.

Peu après un des musiciens du roi chercha du bois pour fabriquer une harpe et par hasard, le bois du saule convint parfaitement à cette entreprise. Il le coupa et en fit une harpe. Quand il joua le soir au diner royal, un air sortit de la nouvelle harpe qui faisait : « le roi a des oreilles de cheval tralala, le roi a des oreilles de cheval ! »

Et comme le roi le craignait, il perdit le trône car le peuple ne voulait d’un roi qui n’était pas complètement humain.

Cette histoire illustre parfaitement la psychologie du secret. Le secret maudit a toujours à voir avec la part animale, primitive de quelqu’un (la rage primitive du violeur peut être relié aux oreilles de cheval du roi). Le roi dans les contes de fée représente la force dominante d’une culture (la règle / ruling aspect). Mais pour la survivante d’un viol, le roi est l’agresseur qui occupe une position d’autorité sur la vie de la femme en la violentant et en ayant un pouvoir sur sa vie pendant des mois voire des années plus tard.

Le poids du secret que le barbier porte seul le rend malade, et la maladie est guérie en confiant son secret à un arbre sans pour autant briser le vœu du silence. Cet acte permet l’intégration du secret dans le mouvement de la vie, qui n’est plus divisée. Il est ancré et contenu dans des racines profondes.

De la même façon eu début d’une thérapie pour une agression sexuelle, la thérapeute écoute comme un saule, contenant et apportant un ancrage à l’horreur et la terreur simplement en écoutant, ce qui permet de partager le fardeau.

Comme l’arbre, elle plie sans casser, c’est-à-dire qu’elle fait preuve d’empathie sans être submergée.