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Trauma and Dreams

Deirdre Barrett

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Traumas and dreams

Edited by Deirdre Barrett
Traduction du chapitre : Jasmine: Dreams in the psychotherapy of a rape Survivor, p. 148
Par Julie Sorin

Jasmine : Rêves d’une survivante de viol en psychothérapie, Karen Hagerman Muller

Quand il y avait une incertitude sur la traduction d’un concept ou d’une expression, plusieurs formules ont été proposées, parfois l’expression d’origine a été placée en incise.

Les troubles de stress post traumatiques étant souvent suivis d’autres formes de traumas, les cauchemars sont un symptôme quasiment universel du traumatisme du viol. (Burgess et Holmstorm, 1974)

Ces cauchemars rejouent parfois littéralement le traumatisme (bien qu’une observation attentive révèle toujours quelques modifications / déformations)

Fréquemment, la rêveuse se réveille terrifiée et ne se rappelle plus le contenu du rêve. Ces rêves sont particulièrement fréquents dans les premières semaines ou les premiers mois qui suivent le trauma mais ils peuvent également ressurgir des mois voire des années plus tard.

Les rêves de meurtres sont très communs et s’expliquent par le fait que de nombreuses survivantes ont eu peur pour leur vie. J’ai accompagné une centaine de survivantes de viol et pour la plupart, le traumatisme primaire était d’avoir frôlé la mort.

En comparaison, la violence sexuelle, bien que terrible, n’arrivait qu’en deuxième position.

Après une agression sexuelle, lorsque les mois deviennent des années, la représentation de l’agression et de ses ravages devient plus symbolique dans la psyché de la survivante. A mesure que l’évènement est intégré dans la vie de la rêveuse, la peur de l’agression sexuelle ou d’autres formes d’agression, ou même la simple menace d’agression est toujours présente dans les rêves mais n’en domine plus entièrement la toile de fond.

Différentes circonstances peuvent déclencher l’apparition de rêves de viol ou d’agression longtemps après les faits. Par exemple, à l’anniversaire de l’évènement ou bien à l’occasion de témoignages ou d’évènements extérieurs en lien avec l’agression sexuelle.

Des épreuves difficiles telles que la perte d’un emploi ou l’abandon par un petit ami peuvent également faire surgir des rêves de viol.

Une rêveuse, qui a collaboré à ce projet pendant un an a montré qu’un sévère auto-jugement/auto accusation (self critical thoughts) pouvait constituer un autre facteur déclencheur.

Un soir où elle se sentait particulièrement désespérée par ce qui lui arrivait, elle décida de tout laisser tomber. La nuit même, elle rêva qu’elle fut violée, ce qui démontra que l’abandon du projet équivalait dans sa psyché à une agression sexuelle.

Comment un événement aussi horrible qu’une agression sexuelle peut-il être intégré ?

Comment conserver une vision du monde optimiste où prendre en charge une autre vie que la sienne lorsqu’on a été victime d’un tel acte de violence misogyne ?

Durant mon expérience d’accompagnement thérapeutique de ces survivantes, j’ai observé plusieurs pistes/solutions à cette question d’intégration de l’agression sexuelle dans la vie de la rêveuse. J’ai vu beaucoup de situations d’échec de cette intégration. Par exemple, dans les cas de phobies ou de paranoïa, l’événement est intégré comme représentant un monde hostile, dangereux.

Parfois un évènement est refoulé ou divisé, et n’est donc pas vraiment intégré. Il est oublié ou nié afin de maintenir une vision du monde supportable. Dans cette situation, la mémoire a tendance à faire intrusion sous forme de cauchemars ou de symptômes isolés tels que des maux de tête, des images violentes ou des sensations physiques déconnectées du contexte qui pourrait fournir des clés de compréhension.

Dans ces mémoires fragmentées (in these piecemeal memories), c’est comme si la psyché avait découpé la mémoire en morceaux avec une émotion à un endroit, un souvenir corporel dans un autre et une image encore ailleurs. Ces extraits de mémoire morcelés et non reliés en apparence ont peu de sens en eux même mais ils représentent en réalité le trauma condensé et encapsulé et permettent d’éviter un affect insupportable.

Lorsque l’évènement est intégré comme une faute commise par la survivante, ce qui est assez courant, il en résulte une dépression.

Une autre intégration sous forme d’auto-accusation (self-blaming accusation) qui accompagne fréquemment une dépression se manifeste par le besoin de son corps et ses attributs sexuels avec des vêtements amples et peu seyants. Ce mécanisme de défense est souvent associé à une prise de poids, une autre façon d’envelopper et de camoufler son corps, parfois jusqu’à atteindre un état d’obésité morbide lié à de graves troubles alimentaires.

La survivante de viol dont nous allons examiner est une femme que j’ai décidé de nommer Jasmine.

Elle a connu des difficultés à intégrer son agression pour plusieurs raisons.

Elle a été négligée et agressée verbalement par une mère glaciale qui n’avait pas souhaité avoir d’enfants et se sentait prise au piège d’un mariage sans amour, et par un père qui laisser exploser des crises de rage imprévisibles.

Jasmine a fait l’objet de plusieurs viols : un viol collectif commis en groupe par des hommes inconnus lorsqu’elle avait vingt ans et un viol subit à trente-trois ans lors d’un rendez-vous amoureux, ce qui l’a amené à me consulter.

L’enlèvement et le viol collectif ont été brièvement pris en charge dans un centre d’accompagnement pour les victimes de violence sexuelle (rape crisis center).

Jasmine a tenté de déposer une plainte au commissariat mais elle n’a pas été prise au sérieux par les policiers, qui selon elle ne la croyaient pas. Cette expérience malheureuse, additionnée à l‘indifférence de sa famille lorsqu’elle était enfant, a conduit Jasmine à se sentir responsable de ce qui lui arrivait et à ne plus chercher de l’aide. Les violeurs l’avaient harcelé et menacé jusqu’à deux semaines après l’agression et cela avait cessé uniquement lorsqu’elle a déménagé.

Elle s’est remise des premiers viols très lentement et pas complètement. Devenue obèse et agoraphobe, elle vivait recluse. Elle réussit à travailler à temps partiel dans un magasin en tant que vendeuse et menait un mode de vie marginal. Elle craignait constamment que ses anciens bourreaux ne ressurgissent pour lui faire subir de nouvelles horreurs. Elle rêvait qu’ils étaient de retour pour la tuer et ses cauchemars étaient si réalistes qu’elle se demandait à son réveil s’ils n’étaient pas vraiment revenus. Il arriva qu’après l’un de ces rêves, elle fut persuadée qu’ils étaient dans la maison. Incapable de bouger, elle resta paralysée par la peur dans son lit pendant des heures. Elle était pétrifiée au point de ne pouvoir faire quoi que ce soit pour vérifier ses impressions ou appeler à l’aide.

Après cinq années passées dans cet état de désespoir, elle bénéficia d’un accompagnement au centre de soin et elle fut suivie par une infirmière spécialisée en psychiatrie pendant huit séances. A la suite de cette brève prise en charge, elle arriva à surmonter suffisamment sa peur pour sortir de son agoraphobie et perdre une partie de son surpoids.

Une autre difficulté dans l’intégration de ses viols était sa profession. Jasmine est chanteuse de Jazz. Elle ne chanta quasiment plus durant les cinq années qui suivirent les premiers viols. Les soins reçus au centre lui permirent de se produire de nouveau sur scène. C’était difficile mais elle arriva à chanter en solo dans des clubs et fit des tournées pendant environ trois ans.