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Le viol, une arme de maintien de l'ordre

créé par La Rédaction du site - Dernière modification le 03/08/2023


Pourquoi si peu de plaintes enregistrées ?

Dans la mesure où, en France, le sujet a été négligé, nous ne disposons d’aucun outil scientifique fiable qui nous permette de faire un inventaire différentiel des crimes et délits sexuels commis sur des hommes, des femmes, des enfants en bas âge ou sur des adolescent/es.

La réponse à cette question est, pour l’instant, difficile. L’absence d’outils scientifiques laisse la porte ouverte à tous les préjugés et opinions. Ils foisonnent. Leur analyse serait d’ailleurs intéressante.

Des réponses plus globales existent probablement car les facteurs culturel et social rencontrent l’aspect psychologique et individuel.

Ce sont donc plusieurs disciplines qui seraient convoquées dans ce travail d’inventaire.

À quoi cela peut-il tenir ? En premier lieu, il est patent que l’attitude de la police et des juges/procureurs incite les plaignants à une certaine réserve. Même si des progrès sont constatables au sein de la police, même si, en théorie, chaque dossier de viol doit être traité par une cellule spécialisée, dans les faits, il en va tout autrement. J’ai recueilli dernièrement les paroles de plaignantes qui s’étaient vu devoir signifier leur plainte dans un local de police ouvert à tous et parcouru par les divers personnels et personnes concernés par d’autres affaires de police.

Je viens de recueillir le témoignage d’une maman qui a porté plainte après l’agression/viol dont sa fille a été victime (6 ans). Le procureur a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner une expertise médico-légale de l’enfant au prétexte que cela serait plus traumatisant que ce qu’elle avait subi. Traduction : Moi, procureur de la République, à la seule lecture du rapport du policier chargé d’interroger l’enfant, Moi, juge et expert en psychiatrie, je décide que les sévices subis sont moindres que ne le serait une expertise médicale pratiquée par des praticiens formés et diligents...

Or, dix mois après, l’affaire est forcément qualifiée en délit... puis les choses traînant, les parents finiront par se décourager et il n’y aura plus qu’un non-lieu à prononcer, d’autant plus que l’on a dissuadé la famille de prendre un avocat... affaire classée. En attendant, une petite fille devra « faire avec ».

On est loin de la diligence et de la prudence nécessaires dans ce type d’affaire.

Ces méthodes bafouent volontairement ou non la fragilité des victimes.

Les canadiens parlent d'une violence systémique, quand l'Institution se rend complice de négligences graves dans ces affaires. Et dans le droit Canadien, la complicité vaut le crime.

La hiérarchie policière, soit par volonté, soit par manque de moyens, traite ce genre d’affaire avec une désinvolture coupable. Bien souvent les faits sont arbitrairement requalifiés afin d’éviter l’encombrement des Assises et un viol peut donc se trouver requalifier en "attouchements sexuels", donc un délit relevant du tribunal correctionnel. Parfois des juges d’instruction demandent qu’une plaignante se soumette à une expertise psychiatrique au prétexte d’évaluer les dommages subis, mais l’obsession de beaucoup d’enquêteurs demeure la crédibilité des plaignantes. Or de nombreuses enquêtes engagées au Canada et aux États-Unis, ont démontré que les fausses allégations sont rares. De plus, les ravages du procès d’Outreau ont rendu les juges plus que prudents. Loin de remettre en cause leurs méthodes d’investigation, leur attitude tend à se rigidifier.

Au Canada, dans des affaires de pédocriminalité, d’inceste ou de viol, les interrogatoires sont filmés intégralement. Et quand il s’agit d’une personne mineure, les éducateurs ou intervenants sociaux, qui auraient reçu un premier signalement, peuvent mener l’enquête eux-mêmes en relation avec la police. C’est impensable en Europe tant acteurs sociaux et policiers se méfient les uns des autres. Pourtant, il sera plus facile pour une jeune personne de se confier à un éducateur qu’à un policier, plus facile si c’est une femme...

Réagissant à la généralisation récente, à partir de juin 2008, de l’enregistrement vidéo des gardes à vue et des auditions chez le juge d’instruction dans les affaires criminelles (hors terrorisme et associations de malfaiteurs), Christophe Régnard, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) explique pourquoi il y est hostile.

Ses arguments sont purement techniques, pas un seul en rapport avec les victimes, pas un mot d’éthique.

« C’est parce que cette réforme est superflue et coûteuse, surtout dans le cas des auditions chez le juge d’instruction: un avocat et un greffier sont systématiquement présents. Pourquoi ajouter une caméra? Elle présente aussi des limites d’ordre déontologique. On sait très bien que des aveux filmés, même si le suspect se rétracte ensuite, auront beaucoup plus d’impact lors d’un procès que des aveux écrits. » (Sur le site de ‘20minutes’, https://is.gd/w32Hxt)

Comment, dans une société où l’information circule quasiment en temps réel, penser que le public ne sera pas sensible à cette retenue de l’autorité judiciaire, voire ce conservatisme ? Les magistrats perdent là une occasion de montrer qu’ils appartiennent à un grand corps d’État chargé de défendre les libertés et de maintenir l’équité en toutes choses et qui, parfois, notamment dans ces domaines, sort de son champ de compétence.

Hanz Lefevbre précise que « notre législation prévoit désormais l’éloignement du domicile à l’encontre du conjoint auteur de violences, sexuelles ou non ». Mais les faits démentent de telles intentions. La plupart des juges hésitent à prendre ce genre de mesure d’isolement. On sait aussi que le prédateur est un manipulateur et il s’est entouré d’un vernis de respectabilité, si, bien que, souvent, ce sera la parole de la victime contre la sienne, personnage respectable, connu pour sa probité... Le suivi régulier de ces affaires démontre, que les experts eux-mêmes se laissent facilement prendre au jeu du manipulateur et le juge, le plus souvent, suivra leurs conclusions. S’agit-il de souligner l’incompétence des experts ? Pas forcément, mais l’absence de théorie de criminologie, une méconnaissance des séquelles des traumas subis par la victime. Pour nombre de psychiatres et psychologues, la victime sera expertisée hystérique, narcissique, centrée sur elle-même. Le retard de la psychopathologie, dans ce domaine, est un facteur qui pèse lourdement dans la prise en compte des souffrances des victimes.

Tout se passe comme si les gardiens du droit et le législateur cherchaient à maintenir un état de peur chez les futures victimes. Les femmes sont visées, le fruit de leurs entrailles par effet de contamination.

Le viol est une arme de guerre. Sur les théâtres d’opérations le recours au viol est condamné par la communauté internationale. Il est néanmoins permanent et les bourreaux demeurent impunis, à quelques exceptions près. Il s’agit d’un crime contre l’humanité, nul ne remet en cause cette qualification.

Le viol concerne les femmes et les filles en majorité, des hommes ou des garçons en position de fragilité.

En France, il y a actuellement 30 000 plaintes par an pour violences sexuelles, 10% sont déclarées. Nous avons donc un total de 300 000 victimes par an. Le taux de condamnation est de 25%... 120 000 crimes ou délits sexuels demeurent impunis.

En même temps que l’extermination des trois quarts de la population tutsie au Rwanda s’est déroulée une autre horreur, le viol de 250 000 femmes. Parmi les responsables figure une Hutue, jugée en 2003 pour incitation au viol de masse et crime contre l’humanité. Elle était ministre de la Promotion féminine...

« Le viol est d'ailleurs catégorisé comme une « tactique de guerre » depuis 2008 par le Conseil de sécurité des Nations unies. La désignation peut paraître étrange. En temps de paix, les violences sexuelles passent pour des actes de pulsion, et non des sévices «stratégiques». Dans les conflits armés, elles ont longtemps été assimilées au «repos du guerrier», un signe de domination plus qu’un outil de destruction.

Le viol participe pourtant de la guerre. Il brise des vies, dissémine les groupes ethniques, anéantit méthodiquement les peuples. C’est un instrument de torture, utilisé contre les hommes aussi bien que les femmes. Une arme d’autant plus séditieuse qu’on en garde difficilement la trace, comme le souligne l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe: ‘Il économise l’extermination totale parfois difficile à gérer et à cacher dans les guerres contemporaines.’ »

Signe de domination dit-on ! S’agirait-il sous nos latitudes du signe de domination du mâle sur sa femelle objet ?

Que doit-on penser de telles comparaisons ?

Auto culpabilisation des victimes – 4

Le 2 septembre 1986, à 22 heures passées, son visage est apparu sur Antenne 2, dans "les Dossiers de l’écran". L’émission de débat de société, très populaire, s’attaque ce mardi soir au tabou suprême : l'inceste.

Sur le plateau, trois femmes victimes de pères ou de frères incestueux ont accepté de témoigner. Deux sont filmées de dos, deux silhouettes anonymes. Et une troisième – c’est une première – parle face à la caméra.

« J’ai choisi de témoigner à visage découvert parce que j'aimerais sortir de la honte », affirme sur le plateau celle qui vient de signer un livre dans lequel elle relate le viol commis par son père, quand elle avait 15 ans.

« J'ai envie de dire aux femmes qui ont vécu ça qu’il ne faut pas avoir honte. »

Des cheveux gris entourent son visage animé par ses grands yeux brillants qui oscillent à droite et à gauche. Eva Thomas paraît terriblement émue à l’écran.

Trente-et-un ans plus tard, elle s’en souvient comme d’un moment exaltant mais éprouvant. "J’avais l’impression de me jeter dans le vide", dit-elle dans sa petite cuisine, en buvant un café. Elle s’appelle Eva

Thomas, elle a changé de nom depuis ces temps. (Auteure de   Viol du silence, éd. J'ai lu, 2000. https://is.gd/IbYXZL)

À la question posée plus haut, une autre explication ne manque pas de nous interpeller.

Une victime me rapportait son témoignage affirmant qu’elle n’avait parlé de son agression ni à sa mère ni à quiconque d’autre - elle avait 12 ans à l’époque des faits - car elle se sentait honteuse de ce qui s’était passé entre son agresseur et elle. On ne manque pas d’être intrigué par cette culpabilité dont témoigne la plupart des victimes de viol même quand celui-ci a été perpétré dans la petite enfance. Nombre de rescapés de l’inceste révèlent ce doute qui les a toujours assaillis sur la réalité de leur statut de victime. N’y a-t-il pas là l’expression d’une grave carence sociale. Quand un commerçant est victime d’un vol, il ne doute pas un instant de la réalité du délit dont il vient d’être victime. Pourquoi en serait-il autrement pour des victimes d’incestes ou de viol dans l’enfance ou l’adolescence ?

Il a existé un phénomène similaire dans nos sociétés : dans les premières années d’épidémie de sida, de nombreuses victimes du virus exprimaient un tel malaise coupable. Nous en étions, à cette époque, aux rumeurs malsaines qui clouaient au pilori les homosexuels, les prostitués et les Africains...

Les rumeurs naissent sur fond d’ignorance et de passions, mais pas seulement. Il leur faut des relais pour durer. A contrario, le savoir, la connaissance, l’instruction, l’information sont de puissants antidotes à la propagation des rumeurs et des préjugés. À propos du sida, c’est la communauté homosexuelle qui s’est érigée contre les préjugés et qui prit en main son propre destin, allant jusqu’à initier une relation assidue avec les chercheurs. C’est ce qui permit à cette communauté de mettre en place des outils de communication qui battaient en brèche le contenu des rumeurs... Concernant les agressions sexuelles, l’esclavage sexuel auquel de nombreuses femmes et enfants sont soumis, cette inertie de la collectivité révèle les dessous d’une conscience collective qui n’ont pas encore dépassé les mentalités archaïques de domination de l’homme et du père, dans la famille, dans la société. Cet archaïsme est fort bien perçu par l’enfant dès les premiers temps de l’ouverture de sa conscience au monde. Ajoutons à cela la persistance d’une vision tout aussi primaire de la famille qui n’a pas permis de développer des attitudes familiales adaptées au monde contemporain et ouverte sur l’extérieur. Sur fond d’individualisme, on voit trop souvent des familles crispées autour d’un noyau constitué du père-dominant, de la mère-relais de l’autorité du premier et des enfants ; dans une architecture sociale qui favorise et amplifie cet isolement, l’enfant peut se retrouver dans une prison de mots, de comportements et de fantasmes qui ne lui permettront pas de trouver une oreille attentive s’il est agressé.

La famille traditionnelle, par la multiplicité de ses composantes, offrait la possibilité, pour un enfant, de compenser les attitudes extrêmes d’un parent. Au moins, la blessure de l’inceste ou du viol dans l’enfance trouvait une écoute attentive du côté d’un oncle, d’une tante, d’une grand-mère... L’isolement actuel ne le permet pas, offrant au prédateur toutes facilités pour son œuvre malfaisante ; un des comportements habituels du prédateur consistant à isoler sa victime du monde environnant et la soumettant à une surveillance constante qui prendra des formes diverses selon le milieu social, plus ou moins brutales, plus ou moins subtiles.