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La Voix des oubliés : des anciens enfants placés luttent pour une commission d'enquête à l'Assemblée Nationale

créé par Marion Soulet - Dernière modification le 08/04/2024


Définition “commissions d'enquête parlementaire” :  Instruments à la disposition des assemblées parlementaires. Le but : recueillir des informations et contrôler l’action du Gouvernement grâce aux pouvoirs d’investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Réformer l'Aide Sociale à l'Enfance : Une Nécessité


L'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) est un organisme crucial chargé de protéger les enfants dont le cadre familial est absent ou dangereux. Son rôle est de garantir la sécurité, le bien-être et le développement harmonieux des enfants. Malheureusement, malgré son importance vitale, l'ASE a été confrontée à de nombreuses défaillances par le passé et continue à faire face à des problèmes persistants. Ces lacunes ont parfois conduit à des situations dramatiques.

Le collectif  “Les oubliés de la République”, réunissant d’anciens enfants placés, a pu célébrer une première victoire : la mise en place d’une commission d’enquête à l’Assemblée Nationale. 
Néanmoins, cela n’est pas suffisant, s’il doit y avoir une enquête, celle-ci doit être correctement réalisée. Étant les premiers concernés, ces anciens de l’ASE souhaitent être pleinement impliqués dans sa réalisation et ont donc créé un “comité de vigilance".

Tony, étudiant en droit et membre du comité, explique le but de cette démarche inédite : « mettre la pression sur les députés » et « leur faire peur ».

Aujourd’hui ce sont 370 000 jeunes qui sont sous la responsabilité de l’ASE en France et malgré leur nombre, ce système chancelant n’évolue pas. De multiples plaintes témoignent des conditions limitées de l’ASE et pourtant, la réponse est sans appel : aucun changement n’est mis en œuvre. L’insensibilité du gouvernement face à cette cause choque. Pourquoi la protection des enfants n'est-elle pas un sujet en France ? 


Récemment, trois décès de jeunes adolescentes placées en foyer ont choqué l’opinion publique. Dans un foyer de l’Oise, le corps d’une jeune fille de seulement 11 ans est retrouvé pendu. Au Puy-de-Dôme, c’est dans un hôtel qu’on retrouve Lily, 15 ans, pendue elle aussi. Elle avait été placée seule dans un hôtel et ce, malgré la loi Taquet de 2022 qui interdit ces placements en raison des dégâts psychologiques qu’ils causent aux enfants. 
Une troisième jeune fille, Myriam, âgée de 14 ans, en fugue depuis près d’un mois de son foyer de Melun, est retrouvée morte. Une enquête a été ouverte par le parquet de Fontainebleau pour homicide involontaire.


L’espoir d’une refonte du système en faveur des enfants


Usant de leur « droit de tirage » (une commission d’enquête par an), les députés socialistes ont décidé de se pencher plus profondément sur ce système brutal de l’Aide sociale à l’enfance. 


Depuis 1980, la gestion de l’ASE, autrefois centralisée au niveau national, a été déléguée aux départements.
Cette décentralisation a fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, d'évidentes inégalités ont vu le jour entre les territoires. Les conseils départementaux ont différents budgets, différentes idées, envies et intérêts à ce sujet. Cela peut mener à des enfants qui attendent leur placement une durée déraisonnable, plus d’un an pour certains, les confrontant alors à des risques directs qui se sont déjà avérés dramatiques. Le 1er juillet 2023, un enfant de 3 ans est décédé à Sablé sur Sarthe, 2 jours après la date où aurait dû avoir lieu son placement, celui-ci décalé pour “faute de place”.
La socialiste Isabelle Santiago affirme être contre l’idée que l’État soit de nouveau chargé de gérer nationalement l’ASE mais elle déclare : “il faut demander des comptes aux départements et “manque de moyens”, ça ne va pas suffire ! »                
Kobe, membre du collectif  “Les oubliés” ressent lui aussi cette volonté de faire évoluer le système. Que ce soit pour les enfants actuellement placés, pour ceux qui vont l’être mais aussi en partie pour les enfants qu’ils ont été, qui ont souffert de ces conditions et qui méritent une revanche. Plusieurs ont vécu des violences physiques, psychologiques mais aussi sexuelles dans ces foyers, qui ne les ont pas protégé·es. 
« On a l’occasion de faire l’histoire, pour les petits frères et les petites sœurs, pour ceux qui ne sont plus là et pour ceux qui viendront » déclare Kobe.


"Crise dans le secteur social : Appels à l'action et témoignages poignants"


Les travailleurs sociaux sont aussi démunis face à ce système qui ne leur donne pas les moyens d’agir efficacement. Ce secteur est en crise et peine à recruter, nous confie Nadia, 24 ans, membre du collectif et désormais cheffe de service éducatif.
« Ce sont les éponges de la souffrance et il faut pouvoir les essorer, plaide-t-elle. En leur apportant des moyens supplémentaires, des outils, des formations. Notre boulot, c’est de rêver pour les enfants placés, pour qu’ils puissent rêver pour eux-mêmes après. »    


Le programme du collectif est simple ; « On va fournir une liste de personnes à auditionner, et si elles ne le sont pas, organiser des “contre-auditions” à l’Assemblée. On a déjà trouvé des députés OK pour nous mettre des bureaux à disposition »
« On va regarder toutes les auditions, et s’il y a des mensonges, on signalera ces parjures au procureur. C’est l’intérêt d’une commission d’enquête : les gens sont non seulement contraints de venir, mais ils répondent sous serment ! »      

 
Le plus révoltant selon elle sont les départements qui n’appliquent pas les lois votées, on le voit avec la jeune Lily qui n’aurait pas dû être placée en hôtel selon la loi Taquet. La solution serait alors de mettre en place des amendes aux départements qui ne respectent pas les lois établies.


Achraf, lui aussi ancien de l’ASE et aujourd’hui travailleur social, a été séparé de ses sœurs lors du placement. Cette situation est loin d’être un cas isolé puisque le manque de dispositifs dédiés aux fratries en France est alarmant. La loi Taquet, votée en 2022 avait pourtant érigé la « non - séparation » en principe.


Entre soutien et scepticisme pour la commission d'enquête


À l’assemblée, ce sont 8 groupes politiques sur 10 qui affirment être pour une commission d'enquête. Parmi eux, Isabelle Santiago dont le CV interpelle. La socialiste a longtemps été vice-présidente du Val-de-Marne et chargée de la protection de l’enfance, pourtant, « Ce département a eu une gestion catastrophique et en 2022, Isabelle Santiago n’a pas voté l’interdiction des placements à l’hôtel... » dénote Lyes Louffok (membre du comité).    
« Quand on travaille pour des milliers d’enfants cabossés par la vie, qui peut dire qu’il a tout réussi ? Mais je suis plutôt très fière de ce que j’ai pu faire. » fût la réponse de l’élue.


Éducatrice spécialisée, la députée Marianne Maximi (LFI) dénonce auprès de Mediapart l’intérêt succinct des politiques qui ne s’intéressent à la cause uniquement lors des drames. 

Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance est elle aussi pointée du doigt par Madame Maximi, l’accusant d’être responsable de la non publication du décret d’application interdisant les placements hôteliers, cette inaction ayant eu des conséquences dramatiques. 


Perrine Goulet, elle-même ancienne enfant placée, hésite quant à l’efficacité réelle de la création d’une commission d’enquête. « Le diagnostic, on le connaît. On a voté des choses il y a deux ans, il faut surtout que tout le monde se mette en ordre de marche. Alors le but, c’est quoi ? D’auditionner Caubel pour lui dire qu’elle a mal fait son boulot ? »        

Du fait de cette controverse, la présidente de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale n’est plus certaine de participer.               

Source : 

Des enfants placés refusent de « se faire bouffer » leur commission d’enquête à l’Assemblée | Mediapart