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Culture du viol, les mots pour le dire

créé par Illel Kieser el baz - Dernière modification le 26/12/2024


Personne ne voit ce qu’il n’a pas envie de voir
Lisa Gardner, Au premier regard

Résumé

Le document traite de la culture du viol et de son impact sur le discours juridique et sociétal. Il souligne comment le langage et les stéréotypes perpétuent la culture du viol, en invisibilisant les agresseurs et en blâmant les victimes.  Les formulations linguistiques, souvent euphémisées, minimisent la gravité des violences sexuelles et déresponsabilisent les agresseurs.  Le texte pose également un regard critique sur le système judiciaire, imprégné de préjugés sexistes, qui tend à banaliser les agressions sexuelles et à protéger les agresseurs. En conclusion, il serait nécessaire de faciliter une prise de conscience collective propice à un changement de discours pour mieux lutter contre les violences sexuelles et soutenir les victimes.

L'article aborde les thèmes suivants :

  • Il s'agit d'explorer comment la culture du viol est ancrée dans la société et le discours juridique, banalisant et dénaturant les violences sexuelles ;
  • Langage et stéréotypes : le texte met en lumière l'importance du langage dans la perpétuation des stéréotypes et la manière dont les mots peuvent invisibiliser les agresseurs et blâmer les victimes ;
  • Déresponsabilisation des agresseurs : Le texte analyse la tendance à minimiser la responsabilité des agresseurs en utilisant des euphémismes et en pathologisant leurs comportements ;
  • Blâme des victimes : on examine comment les victimes sont souvent blâmées pour les violences qu'elles subissent, à travers des discours qui les rendent responsables de leur agression ;
  • Système judiciaire : Le document dénonce les biais sexistes au sein du système judiciaire, qui tend à protéger les agresseurs et à banaliser les violences sexuelles ;
  • Violences intrafamiliales : Il aborde la fréquence et la banalisation des violences sexuelles au sein de la famille, souvent invisibilisées par le discours dominant ;
  • Militantisme et résistance : Le texte appelle à un changement de discours et à une prise de conscience collective pour mieux lutter contre les violences sexuelles et soutenir les victimes ;

Ces thèmes sont interconnectés et montrent comment la culture du viol est maintenue et renforcée par des pratiques linguistiques et institutionnelles.

Summary

This paper addresses rape culture and its impact on legal and societal discourse. It highlights how language and stereotypes perpetuate rape culture, making perpetrators invisible and blaming victims. Linguistic formulations, often euphemized, minimize the seriousness of sexual violence and remove responsibility from the aggressors. The text also takes a critical look at the judicial system, imbued with gender bias, which tends to trivialize sexual assault and protect aggressors. In conclusion, it would be necessary to facilitate a collective awareness conducive to a change of discourse to better fight against sexual violence and support victims.

This paper covers the following topics:

  • The aim is to explore how rape culture is rooted in society and legal discourse, trivializing and distorting sexual violence.
  • Language and stereotypes: The text highlights the importance of language in perpetuating stereotypes and how words can make abusers invisible and blame victims.
  • Abuse of Accountability: The text analyzes the tendency to minimize the responsibility of aggressors by using euphemisms and pathologizing their behaviors.
  • Blaming of victims: we examine how victims are often blamed for the violence they suffer, through discourses that make them responsible for their aggression.
  • Judicial system: The document denounces gender bias within the judicial system, which tends to protect aggressors and trivialize sexual violence.
  • Intra-family violence: It addresses the frequency and trivialization of sexual violence within the family, which is often made invisible by the dominant discourse.
  • Activism and resistance: The text calls for a change in discourse and collective awareness to better fight against sexual violence and support victims.

These themes are interconnected and show how rape culture is maintained and reinforced by linguistic and institutional practices.

 

Prologue

Le matin sur France Inter, dans une émission où des enfants posent leur question.
Une enfant demande : « Qu'est-ce que la démocratie ? » Une philosophe lui répond, évoquant les origines de la démocratie chez les Grecs. Mon car parvenait juste à l'arrêt Héraklès...

On attribue déjà aux Grecs les origines de la philosophie, ignorant les apports indiens et ceux de l'Islam à la philosophie et à l'évolution des sciences et techniques.
La Grèce nous a aussi légué une pléiade de dieux et demi-dieux, symboles bardés de muscles dominés par l'instinct, la force et l'animalité. D'Héraklès à Schwarzenegger le culte du héros conquérant, brandissant glaive et bouclier, arborant un regard conquérant demeure au centre de nos mythologies et de notre imaginaire.
Les muscles se sont voilés, les héros se font plus discrets mais le mythe du mâle dominant demeure.

Une image contenant art, Sculpture classique, Sculpture sur pierre, ArtefactComment ce mythe s'est-il installé pour durer tant de millénaires ?
Les Grecs ont consolidé la prééminence du héros mâle, celle-ci était déjà sensible à Sumer ou la grande déesse Inanna - déesse sumérienne de l'amour, de la fertilité et de la guerre – fut peu à peu destituée au profit de dieux mâles.
Héraklès paracheva l'œuvre de la domination du mâle dans son combat contre les Amazones.

Les Amazones, peuple de femmes guerrières, vivaient à l'extérieur du monde grec. Elles étaient réputées pour leur traditions féroces et leur insensibilité.
Héraklès avait pour mission, dans l'un de ses douze travaux, de rapporter la fabuleuse ceinture d’Hyppolite – celle qui libère les chevaux, se rendit dans le pays des Amazones. Il y fut bien reçu par la reine. Celle-ci, séduite, était sur le point d'offrir sa ceinture à Héraclès lorsque les Amazones – moins naïves – radicales déjà ? –, protestèrent devant ce qu'elles considéraient comme une trahison de leur domination féminine sans partage sur les hommes.
Héraklès sans regimber, tue Hippolyte et s'empare de la ceinture.
Les Amazones attaquèrent alors Athènes pour venger cette humiliation. Elles furent vaincues et décimées. Fin de la légende des Amazones et de leur domination féminine sans partage sur les hommes.
Notre héritage ?  Jusqu’à ce qu’une archéologue de génie nous dise autre chose.

Marija Gimbutas – une archéologue qui fut longtemps ignorée – réinterprète la préhistoire européenne à la lumière de ses connaissances en linguistique, ethnologie et histoire des religions. Dans ses travaux elle remet en cause plusieurs idées reçues relatives aux prémices de la civilisation européenne, notamment la prééminence "naturelle" du mâle.

Elle révèle l’existence d’une civilisation pré-indo-européenne dénommée « culture préhistorique de la déesse » qui aurait existé à partir du Paléolithique et perduré plus de 25 000 ans.  "Le langage de la déesse" – son livre majeur – nous rapporte que cette civilisation se fondait sur des valeurs que nous tentons actuellement de retrouver grâce aux luttes actuelles des femmes et qui menacent les prémices de la civilisation contemporaine.
Selon elle les Indo-Européens – peuples dont nous sommes les descendants – auraient gagné en puissance grâce à la domestication du cheval – rappelez-vous, Hyppolite, reine des Amazones, celle qui libère les chevaux. La mobilité ainsi gagnée aurait créé des groupes de cavaliers combattants et aurait conduit à des formes de société dites patriarcales.

Les ancêtres d'Héraklès partaient à la conquête du monde et de la Nature jusqu'à la démesure.

Les explorations linguistiques de Marija Gimbuntas qui lui permirent de dévoiler un monde si différent du nôtre nous incitent à relire et à revoir les mots de nos cultures. Les glaives demeurent inertes dans les musées mais les mots tuent.

Des propos de nos jours

Plus tard, le car est arrivé à son terminus...

Dans l’entretien entre Lucie et Loli (Témoignage de Loli sur les violences sexuelles subies. Podcast Loli), cette dernière dit, à un moment :

« Lorsque j’ai avoué ».

On comprend ce qu’elle voulait dire : « Quand j’ai dévoilé... »

Sans y prendre garde, cependant, la formulation pourrait passer.

Mais ...

Puisqu’il faut le dire, disons le du mieux que possible !

À travers le langage, les stéréotypes forgent la permanence de la culture du viol jusqu’à être repris par les rescapées elles-mêmes.

Qui est le sujet ? Qui est l’objet lors d’un viol, d’une agression sexuelle ?

On entend souvent : « Je me suis fait violer », « J’ai été violée ! », « elle s’est fait violer »...
Que ce soit sous la forme active, ou passive, la victime est le sujet. La première transfère la responsabilité à la victime. La deuxième évacue la responsabilité de la victime, mais occulte celle de l’agresseur. Stylistiquement, la voix passive sert à effacer l’agent, elle invisibilise l’agresseur. La formulation « Il l’a violée. » rend compte plus précisément de la réalité sujet/objet.

L’insidieux usage des mots se retrouve dans toutes les affaires qui débouchent sur un procès.
Et si, malgré une plainte, la victime se voit confrontée à un non-lieu, c’est bien souvent parce que l’évaluation du crime a dès l’origine été biaisée. Cela commence dans les mots.

Une agression sexuelle est-elle :

  • un abus sexuel ;
  • une aventure sexuelle ;
  • un dérapage amoureux ;
  • une erreur de jeunesse ;
  • un acte commis en toute inconscience ;
  • une déviance.

Dans une société marquée par la culture du viol, les préjugés inconscients – parfois bien assumés – peuvent inciter les acteurs impliqués à euphémiser, romantiser, érotiser, excuser, voire encourager les violences à caractère sexuel.

Sans que la dérive se perçoive toujours, la culture du viol invisibilise l’agresseur sous différentes formes. La plus commune consiste à employer un vocabulaire qui présente les violences comme rares, exceptionnelles ou hors du commun. Elles seraient le fait d’un dévoiement tout à fait exceptionnel du cours normal des choses.

Sachant qu’une femme sur trois subira des violences sexuelles au cours de sa vie, nul ne peut dire que ces violences sont hors du commun. Les comportements sexuellement violents ne sont pas « déviants », ils ne résultent généralement pas d’une quelconque pathologie, mais sont plutôt commis par des hommes « normaux ».
Le procès spectaculaire de Dominique Pelicot (Procès dit de Mazan 2024) nous a montré l’usage qui pouvait être fait du détournement de l’attention portée à la réalité des faits. Détournement fondé exclusivement sur le discours.

En examinant la culture du viol spécifiquement sous l’angle du langage ou du discours, nous voyons comment les mots trahissent une difficulté pour avancer dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Quelle que soit l’intention derrière le choix stylistique, les formulations qui effacent l’agresseur donnent l’impression d’une responsabilité accrue pour la victime, qui se serait « mise » ou du moins « retrouvée » dans une situation malheureuse.

D’autres dérives langagières associent la violence à une menace extérieure, étrangère, alors que les violences intrafamiliales – ou dans le proche environnement – sont bien plus fréquentes.

On aimerait penser que cet usage des mots demeure limité au Café du Commerce. Or on constate ébahi que la justice est elle-même imprégnée par la culture du Viol.

Un article intéressant paru dans Mediapart révèle l’ampleur des violences sexuelles et sexistes au sein de l’institution judiciaire.
<https://www.mediapart.fr/journal/france/051224/une-etude-revele-l-ampleur-des-violences-sexuelles-et-sexistes-au-sein-de-l-institution-judiciaire>

On y découvre « comment la justice met(-elle) des mots sur les violences sexuelles ? Et comment ces mots sont(-ils) utilisés dans la pratique, face aux faits ? En quoi les juges sont-ils encore le reflet de la société dont ils jugent les dérives ? » (Note sur le constat que dresse le Syndicat de la magistrature (SM) dans une étude dite de « victimation » menée pour la première fois auprès des quelque 9 000 magistrat·es et auditeur·ices de justice en France.)

Tout le monde est contre le viol. C’est du moins la conclusion qu’on pourrait tirer si on demandait à tout une chacune (oui le féminin se justifie) de se positionner chez les « pour » ou les « contre ». Dans une société où règne une culture du viol, se dire contre le viol est-il suffisant ? Y a-t-il de bonnes et de moins bonnes manières de le dire ? Au procès de Mazan, n’a-t-il pas été question de mille nuances de viol ? Peut-on se penser contre les violences sexuelles, et employer malgré soi des expressions qui disent le contraire ?

En précisant ce que l’on entend communément du concept de culture du viol, nous verrons que les stratégies langagières, loin d’être anodines traduisent les aspects sombres d’un système qui vise à érotiser le corps des femmes. Qui révèle l’euphémisation des violences sexuelles et la déresponsabilisation des violeurs/agresseurs.

Qui vise aussi à protéger une hiérarchie millénaire au sein de laquelle le dominant est toujours de genre masculin.






Mercredi pour cet excellent article qui mets l'accent sur le poids des mots au service de l'hégémonie patriarcale et en support des violences masculines.